Dream job | Designer vélo, l’art de concevoir
Par Léo Kervran -
Designer de vélo, voilà un métier qui fait volontiers rêver mais qui n’est pas toujours mis en avant à sa juste valeur. Côté médias comme côté marques, il est plus facile de présenter des ingénieurs, des chefs produits ou de discuter avec des responsables marketing. Alors quand Scott nous a proposé de passer un moment avec Fred Rul, leur designer en chef, nous n’avons pas hésité très longtemps. Il nous parle du rôle des designers, de la relation avec les ingénieurs, de ses aspirations et inspirations… Suivez-nous dans l’univers de ce métier si particulier, au croisement du technique et de l’artistique :
Les coulisses du tournage
Fred, on le connaissait déjà un peu pour l’avoir rencontré il y a quelques semaines lors de notre découverte du Scott Patron (lire : Test nouveauté | Scott Patron eRide : jeu de cache-cache). Il nous avait alors expliqué ce qui avait mené à ces formes si particulières, ainsi que le challenge de faire rentrer la batterie Bosch de 750 Wh dans un vélo sans trop en sacrifier l’équilibre.
Sur le moment, c’est bien sûr vers le vélo que toutes les attentions et les honneurs étaient tournés, mais lorsque l’opportunité s’est présentée de discuter plus longtemps de design en général avec Fred, nous avons sauté sur l’occasion. Naturellement, il est toujours intéressant de rentrer dans les coulisses de la conception de nos montures, mais ici, on parle en plus du responsable design de Scott, une marque avec des choix particulièrement forts dans le domaine depuis quelques temps.
Rendez-vous est donc pris pour une journée dans les bois, à parler design et rouler (tout de même) ce fameux Patron eRide, la dernière création de l’équipe qu’il dirige.
Le jour dit, on se retrouve à l’endroit choisi pour un tournage un peu particulier. Fred n’est pas venu les mains vides, il a amené avec lui son chevalet, une toile et un cadre de Patron eRide entièrement transparent. Posé au milieu de la nature, l’impression est saisissante.
Seul petit imprévu, il ne fait pas très chaud (doux euphémisme). 10h du matin à 700 m d’altitude, sur un versant à l’ombre et début février, si la température n’est pas négative elle n’est pas loin de l’être ! La piste forestière qui court un peu plus bas est d’ailleurs recouverte d’une belle couche de glace sur plusieurs dizaines de mètres, signe que si notre lieu de tournage est joli, il s’avère aussi être une véritable glacière…
A ce titre, on peut réellement parler de prouesse ou d’exploit lorsque Fred réussit à nous redessiner de tête, à la main et sans trembler, le cadre du Patron pour nous expliquer l’apport d’un designer dans la naissance d’un vélo : « L’apport du designer, c’est créer une identité au produit. C’est mettre la plus belle peau, la plus belle forme possible sur des éléments techniques. »
« Il y a une identité globale qui est celle de la marque puis une identité pour chaque vélo, chaque produit », poursuit-il, « on garde l’ADN de la marque mais il faut l’appliquer de la bonne manière à la bonne catégorie. » Évidemment, on ne dessine pas un vélo de route comme on dessine un VTTAE. L’un veut inspirer la légèreté ou la vitesse quand l’autre jouera peut-être plus sur l’agressivité.
Toutefois, cette identité n’est pas un travail d’un jour, ou même de quelques mois et spécifique à un modèle : « L’ADN d’une marque se construit, chez Scott ça fait des années qu’on travaille là-dessus pour avoir une identité forte, différente des autres. On fait des vélos épurés, simples visuellement parce que c’est des vélos qui vont durer dans le temps, a contrario d’un produit saturé de lignes, de détails qui va vieillir plus vite. »
La simplicité, graal du designer moderne ? En effet, pour Fred en tout cas, « quand on arrive à un produit fini, on se dit qu’il n’y a plus rien à enlever ». Simplicité esthétique, mais pas seulement. En effet, dans la croyance populaire on associe généralement le design a une réflexion d’abord artistique mais pour l’homme du métier, la définition est un peu différente : « Le design c’est l’art de concevoir, il faut le côté artistique et le côté conception, l’un ne va pas sans l’autre donc il faut vraiment être curieux. »
Ses inspirations ? « Ça vient de la vie de tous les jours, en tant que designer on est attiré par des produits qui sont simples, qui sont bien conçus, qui sont malins. » Là encore, on note que l’aspect technique, fonctionnel des choses figure en bonne place dans sa façon de penser. Pour autant, difficile de relater précisément ce qu’il se passe dans sa tête lorsqu’on lui demande de dessiner un nouveau vélo : « Ça se passe dans la tête, c’est difficile de décrire… On essaye de lier les éléments, pour avoir quelque chose d’harmonieux. »
En parlant de lier les éléments et de simplicité, il revient sur le Patron qui est derrière nous : « Sur ce Patron on a dû repartir de zéro à un moment donné car on s’est rendu compte que les ingrédients techniques ne fonctionnaient pas. Il y a eu un gros travail d’esquisse, on a fait je ne sais pas combien d’itérations, de design, de silhouettes… »
On vous en parlait plus en détail dans notre découverte du vélo et il faut dire que sur le papier, le vélo peut apparaître complexe : amortisseur intégré, batterie intégrée, moteur dans une position inédite, pré-câblage pour de l’éclairage, passages internes des gaines avec un poste de pilotage bien particulier… Pour autant, quand on regarde l’enveloppe générale, c’est à nouveau la simplicité qui ressort assez naturellement. Sur ce vélo, rien ne dépasse, c’est comme s’il n’y avait aucun élément superflu.
On pourrait vous raconter encore beaucoup de choses sur les autres sujets abordés, comme sa relation avec les ingénieurs, la façon dont il aborde les différents matériaux (« dans le cas du Patron, le vrai vrai challenge a été sur l’aluminium ») mais pour ça, on vous invite à regarder la vidéo en début d’article. Pour nous, il est temps d’aller rouler histoire de se réchauffer un peu !
Sur des sentiers qu’on connaît par cœur, on retrouve (heureusement) le même Patron que nous avions découvert quelques semaines plus tôt : un véritable ebike « trail », redoutable grimpeur et facile en descente. Le vélo se place bien, n’embarque pas son pilote vers l’extérieur des virages et permet même quelques excentricités à l’occasion.
C’est lorsqu’on hausse le rythme qu’on sent ses limites, principalement à cause de suspensions trop linéaires qui s’affaissent au lieu d’apporter le support souhaité. D’un côté, on le comprend puisque le Patron est bien présenté comme un trail et pas comme un enduro mais de l’autre, on le regrette car quelques petites modifications pourraient lui ouvrir bien plus de portes sans retirer quoi que ce soit à sa facilité et ses capacités au pédalage.
On s’en ouvre bien sûr à Fred, qui pour toute réponse nous regarde avec un petit air satisfait, comme s’il avait anticipé ce retour… On n’en saura pas plus, mais on ne peut s’empêcher de penser que Scott nous prépare quelque chose, vraisemblablement sur le même principe que ce Patron.
Peut-être une version un peu plus énervée avec les modifications que nous appelions de nos vœux à l’issue de notre prise en main (cartouche Grip2 dans la fourche, poste de pilotage un peu plus haut, suspension arrière qui soutient mieux) ?
Comme nous l’évoquions en introduction de cet article, on parle assez souvent d’ingénieurs ou de chefs produits dans le milieu du vélo, très orienté technique. C’est oublier qu’avant même de l’essayer, la première impression d’un vélo est visuelle et à ce titre, le travail des équipes de design est primordial : un vélo qui ne plaît pas aura forcément plus de mal à séduire, quand bien même il s’agirait sur le terrain de la meilleure machine jamais construite. Mettre en avant un designer nous tenait donc à cœur. Comme le soulignait très justement Fred, leur travail ne s’arrête cependant pas là et si vous aimez autant quelque chose sur votre vélo, une petite fonctionnalité maligne et bien pratique, c’est peut-être grâce à un ou une designer. Concevoir un vélo est un art complexe qui met en relation de nombreux métiers et si certains sont plus mis en avant que d’autres, tous sont essentiels pour arriver au résultat final : se faire plaisir sur les sentiers !
Notre découverte du Scott Patron eRide : Test nouveauté | Scott Patron eRide : jeu de cache-cache