Des routes militaires pour le vélo : la ronde des forts de Vauban autour de Briançon

By Pierre Pauquay -

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Des routes militaires pour le vélo : la ronde des forts de Vauban autour de Briançon

Briançon est ceinturé comme un corset par des fortifications. Les routes militaires pour y accéder sont autant de belles échappées à effectuer à vélo. A la fin de l’été, Vojo est allé pousser sa curiosité en rejoignant ce patrimoine historique via l’ascension du col du Granon.

Si Briançon respire le Sud, la ville est bel et bien située dans un environnement montagnard. Aux alentours, les formidables sommets des Ecrins dominent avec leur sommet de près de 4.000 mètres d’altitude, ceux du Taillefer au nord comme ceux du Queyras au sud, entourent la cité de Vauban. Le nom est écrit : Vauban, un nom qui aura modifié tout le paysage alpestre aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Durant l’été 1692, le duc de Savoie Victor-Amédée et ses troupes déferlèrent dans le Haut-Dauphiné. Ce raid dévastateur anéantit les villes et les villages de la région. Ce traumatisme fut effroyable : le roi Louis XIV constata que les Alpes n’étaient pas une muraille infranchissable. Le Roi-Soleil n’avait cure des défis techniques, pourvu que son royaume soit protégé… Il ordonna alors à son ingénieur Vauban d’inspecter les places fortes alpines de Briançon, de Mont-Dauphin et de Château-Queyras qui n’avaient pas pu résister à cet assaut.

Il modifia les plans et échafauda de grands projets pour de nouvelles fortifications en altitude autour de la ville. De nos jours, la cité est un livre d’histoire à ciel ouvert : les bastions, les portes poudrières et les ruelles droites ont été bâtis dans un but défensif. Au Champ de Mars dominant la cité Vauban, La Porte de Pignerol sera notre point de départ.

En souvenir de Bartali

Sur un des murs, une plaque commémorative rappelle le souvenir de Gino Bartali, le grand champion cycliste italien qui remporta à Briançon trois étapes du Tour de France en 1938, 1948 et 1949. L’un de ses plus grands exploits fut cependant sa magnifique défaite face à un homme plus jeune que lui et bourré de talent, Fausto Coppi. A son âge, 35 ans et face au coureur céleste Coppi, il ne pouvait que perdre lors de cette étape du Giro de 1949, Cuneo-Sestrières qui « dévore les hommes », selon l’écrivain Dino Buzzati (sur le Giro 1979, éditions So Lonely, 2017). Seul à la poursuite de Fausto qui s’était envolé dans les premiers kilomètres, il franchit les cols de Maddalena, de Vars, de l’Izoard et traversa Briançon, « … souillé par la boue, les commissures des lèvres abaissées en un rictus exprimant toute la souffrance de son corps et de son âme.. », Coppi étant passé depuis un bon moment… Il poursuivit son effort solitaire pour gravir Montgenèvre et enfin Sestrières, soit 4700 m de montée et laissa le maillot rose à Coppi.

Tout n’est que silence : nous roulons sur un terrain peu connu, délaissé des randonneurs. La voie est très belle.

Un col tracé pour les militaires

La ville est étroitement liée au cyclisme et à ses grands Tours avec ces cols légendaires la ceinturant : Galibier, Montgenèvre, Izoard et Granon. C’est ce dernier que nous allons gravir non sans une certaine envie de découverte. Depuis la ville, en quelques kilomètres seulement, nous rejoignons Saint-Chaffrey, au pied des pentes d’un col réputé parmi les plus durs des Alpes.

Dès le premier kilomètre, en traversant Villard-Laté, le pourcentage s’envole, un 10 % qui va tenir sur les 11 kilomètres avec une accentuation qui va flirter vers les 15 %. Ce col est destiné aux purs grimpeurs : on se souviendra de l’envolée du frêle Vingeggaard en 2022 qui terrassa Tadej Pogacar. Plus loin dans nos souvenirs, pour ceux qui étaient nés, on vit la défaite en 1986 de Bernard Hinault qui laissa son maillot jaune à Greg LeMond, le 20 juillet. Le lendemain, à l’Alpe d’huez, ils franchirent en tête la ligne d’arrivée main dans la main, un beau geste qui cachait en fait une rivalité exacerbée.

Le col du Granon est une ancienne route militaire qui s’élève au-delà des 2.000 mètres d’altitude. La route, étroite, raide et dure, rejoint les forts d’altitude. Le pourcentage élevé est constant et n’offre aucun répit. Malgré son altitude élevée de 2.414 m, il n’a pas l’aura de son grand frère, le Galibier, situé à quelques kilomètres au nord. Mais qu’est-ce qu’il est dur à gravir ! Sans un minimum d’entraînement, on reste scotché sur le bitume et on ne parvient pas à s’en extirper. Au sommet, un parking marque l’arrêt des véhicules. Place maintenant à notre échappée à VTT ou en gravel vers les monts et la vallée de la Clarée.

Sentinelle d’altitude

Du col, nous apercevons la silhouette du fort de Lenlon, situé à 2.508 mètres d’altitude. Il s’ancre dans une montagne rude et désolée. Construit à la fin du XIXe siècle, il se donne des airs de Fort-Boyard avec sa forme hémicylindrique. Dominant celui de l’Olive, il formait un système de défense barrant l’accès depuis la vallée de la Clarée, face à une armée fasciste italienne qui pouvait provenir du col de l’Echelle et contourner ainsi les forts de Briançon. La guerre eut bien lieu dans les Alpes en juin 1940 mais beaucoup plus au sud.

La piste militaire, s’offre tout d’abord un long répit en longeant les contreforts de la Roche Gauthier. Le minéral côtoie l’alpage. Tout n’est que silence : nous roulons sur un terrain peu connu, délaissé des randonneurs. La voie est très belle.

Voie royale pour le gravel ?

Dans la descente, la question nous revient, lancinante au cours de cet été. Est-ce que le gravel est adapté aux Alpes ? Nous l’avons espéré sur le versant de la vallée de la Clarée où la piste militaire devait s’ouvrir pour une échappée royale.

En repérage et pour ce reportage, nous avons opté pour la polyvalence d’un VTT semi-rigide, ne sachant pas où la route pouvait nous mener. Au début, la piste plane et lisse augure une belle suite, une voie idéale pour le gravel.

Las, dans les premiers virages vers le hameau de Granon, dès que la pente s’accentue, la piste se défonce, se couvre d’ornières et de grosses pierres. La Fox 32 tape dur et nos pneus de 2,4 de section font le job. Si les angles du VTT et notre position rassurent sur ce type de terrain, une géométrie gravel requiert certainement plus d’attention… Ces pistes d’altitude laissées telles quelles subissent les affres de la météo, les chutes de pierres, les éboulements ou les coulées de boue inhérentes au milieu montagnard. La pratique du gravel devrait-elle passer par un entretien de pistes nouvellement dédiées, tout comme une piste d’enduro ou une route goudronnée pour le vélo de route ? La question peut être posée mais au détriment sans doute de ce côté aventureux qui fait tout le charme du gravel. Pour notre part, nous n’en avons cure. Nous nous délectons à filer avec nos semi-rigides sur la piste défoncée tout en croisant un graveliste dans le sens inverse de l’ascension. Il donne tous ses watts pour s’extirper du pourcentage élevé afin de ne pas buter sur les rochers en saillie : un costaud !

Se protéger du loup

Dans la descente, nous nous remémorons du témoignage d’Emilie Carles, l’autrice de « Une soupe aux Herbes sauvages », un best-seller qui racontait la vie paysanne d’une institutrice des Hautes-Alpes au début du siècle dernier (éditions Robert Laffont). Dans cette descente que nous abordons, il existait un lieu-dit, l’écuelle des loups. Il s’agissait à l’époque d’une souche d’arbre évidée dans laquelle les paysans d’alors plaçaient des morceaux de viande ou de pain que le loup dévorait, ce qui laissait le champ libre aux paysans pour rejoindre sans encombre avec leur troupeau les chalets du Granon.

Quand nous atteignons le hameau, maintenant désert, les habitants de Val-des-Prés montaient pour y vivre en totale autonomie durant trois mois. Ils faisaient paître leur bétail, fabriquaient de la tome, un fromage qui se gardait longtemps et qui leur fournissait une nourriture indispensable. Aux alpages, nous entrons dans l’ombre. La forêt nous happe et la piste devient plus aisée, heureux seront les gravelistes !

Lumière de Haute Provence

La large vallée de la Clarée est magnifique en automne quand les mélèzes inondent de leur lumière orange la rivière. Aux alentours de Val-des prés, apparaissent les prés et les champs qui ont été gagnés sur la montagne.

A la sortie du village de La Vachette, de l’autre côté de la route du col vers Montgenèvre, les pins sylvestres profitent de la clémence du climat haut-alpin pour monter en altitude.

Ils sont nos jalons pour atteindre Fort Dauphin où nous découvrons un autre univers, avec cette lumière plus vive, typique du Briançonnais.

Elle annonce les Alpes-de-Haute-Provence. Un long chemin en balcon rejoint le fort des Trois Têtes, offrant une vue plongeante sur Briançon. Les forts aux alentours de la cité accueillaient des milliers de soldats appelés à défendre le verrou glaciaire et les invasions provenant du col de Montgenèvre.

Du fort, la piste qui descend vers Briançon est comparable à un secteur pavé de Paris-Roubaix avec des roches en saillies et tranchantes ! Nous rejoignons la ville haute en traversant le pont d’Asfeld qui est un ouvrage d’art impressionnant, dominant un à-pic du gouffre formé par la Durance.

Les routes militaires, conçues pour la guerre sont devenues de magnifiques chemins bien plus pacifiques pour des échappées infinies à vélo. Là-haut, si les forts ont défié l’ennemi, de nos jours ils défient le temps et sont devenus des sentinelles du vide et de la solitude…

Carnet pratique

  • Itinéraire
    De Briançon, on rejoint la route du col du Granon via Saint-Chaffey. Après la descente du col, l’itinéraire descend la fin de la vallée de la Clarée jusqu’à La Vachette. Une piste rejoint alors les hauteurs de Briançon en longeant par les crêtes la route de Montgenèvre. Comptez 43 km pour cette boucle et 1215 m de D+.
  • Type de vélo
    VTT ! Qui peut le plus peut le moins, mais vous pouvez opter néanmoins pour un semi-rigide… En gravel, l’itinéraire présente deux difficultés : la descente très caillouteuse et piégeuse vers le hameau de Granon et la descente depuis le fort des Trois Têtes, un vrai casse-patte ou casse-jante.

ByPierre Pauquay