Découverte | Sur les traces de la Bête du Gévaudan : frissons et émoi

Par Pierre Pauquay -

  • Staff pick

  • Nature

Découverte | Sur les traces de la Bête du Gévaudan : frissons et émoi

Le Gévaudan est un nom légendaire qui restera à jamais associé à celui de la Bête. Depuis 250 ans, son hurlement hante cette ancienne province du Royaume de France et résonne dans l’esprit du randonneur qui la traverse de nos jours. Si le mythe est né, il n’en demeure pas moins un fait divers effroyable qui s’est bien déroulé de 1764 à 1767 : plus de 100 victimes ont succombé sous les crocs de la Bête du Gévaudan. Et si nous partions sur ses traces, à vélo ? Frissons garantis !

En lisant les documents de l’époque, La Bête a sillonné le pays du Royaume de France, le Gévaudan, en gros le département de la Lozère actuelle et une partie de la Haute-Loire.

Depuis Langeac, en empruntant une partie de la Grande Traversée du Massif Central (GTMC) nous avons l’impression de rouler dans un amphithéâtre historique où le paysage et les hameaux ont servi de décor à un drame.

Retour au XVIIIe siècle

Rouler dans cet ancien Gévaudan, c’est plonger dans une autre époque, retrouver cette campagne originelle du royaume de France du XVIIIe siècle. Devant nos roues, les paysages sont restés intègres : les forêts de Mercoire ou de Ténezère semblent s’étendre au-delà de l’horizon tandis que les rochers de granit de la Margeride recouvrent les sommets dénudés et ponctués de broussailles.

Sur les larges chemins, le gravel est le roi. Nous avançons au rythme lent des bœufs et des sabots des chevaux de trait qui reliaient à l’époque les hameaux clairsemés comme ceux de Fromanti ou de Chanteneuge.

Sur ces chemins du silence, nous nous sentons épiés par une faune sauvage présente partout mais visible nulle part. Point d’autoroute ou de grandes nationales qui balafrent le paysage : la région demeure une des plus sauvages que nous ayons pu rencontrer en France.

Des enfants seuls dans les pâturages

Le monde en 1764 n’était pas celui de nos jours. Les paysans vivaient au rythme des saisons et de la terre. Les hautes terres étaient misérables : on survivait grâce au pain de seigle, une céréale qui pouvait pousser sur ces terres pauvres, et à ce petit cheptel que l’on gardait sur les plateaux.

Le premier drame se déroula au hameau des Hubacs, le 29 juin 1764. Jeanne Boulet, 14 ans, se rendit aux pâturages. Alors que le soleil se couchait, les habitants effarés, la découvrirent dévorée. Les enfants du XVIIIe siècle n’allaient pas à l’école et gardaient seuls des petits troupeaux. Cette attaque fut le début d’une série noire qui ne s’interrompit que trois ans plus tard.

Une terre gorgée de légende

Le chemin surplombe les gorges de l’Allier. Au-dessus des Châzes, le chemin traverse l’un des plateaux où est clairsemé l’habitat. A la croix, nous prenons la trace qui descend vers l’Allier en dessinant les épingles les plus abruptes.

La région est difficile d’accès pour un chasseur ou un coureur de bois qui doit se frotter à des broussailles, à des genêts si touffus qu’il est impossible d’y pénétrer. Les vallées sont encaissées et trop escarpées : la Bête avait trouvé là un asile sûr.

Qui a peur du loup ?

Depuis toujours, les paysans de l’Ancien Régime vivent avec le loup, le craignent et le respectent. Et ils ne le reconnaissent pas dans ces attaques, lui qui ne s’en prend qu’aux moutons, des proies bien plus faibles que l’homme. Ce premier constat étonne les paysans. Ils sont en plein désarroi face à une bête inconnue qui attaque sans crainte les enfants et les femmes qui gardent seuls les petits troupeaux disséminés dans les prés. Les parcelles que nous traversons à vélo en sont l’héritage.

Ce fait divers alimente la presse de l’époque et ces événements remontent jusqu’à la cour de Louis XV. Un officier du roi, le capitaine Duhamel est dépêché sur les lieux : il va organiser de grandes traques, âpres et obstinées. Le 28 octobre 1764 se déroule la plus grande battue jamais menée dans l’histoire. Les chasseurs et les rabatteurs comptent une véritable armée de plus de 30 000 hommes : ils doivent acculer la Bête sur les rives de la Truyère. En vain.

L’hiver approche, la neige et l’humidité retiennent le détachement du capitaine dans ses quartiers. Duhamel bénéficie du soutien total du roi mais il ne sait plus où donner de la tête. La Bête attaque à plusieurs lieux différents et surgit de partout. Sa défaite consacre sa déchéance. Il quitte le Gévaudan au mois d’avril 1765, bredouille. Pour l’Eglise, la Bête est une punition divine. En accréditant un caractère surnaturel au fléau, l’évêque abandonne le Gévaudan à l’obscurantisme.

La frayeur de la Bête accapare les esprits et sa représentation devient mystique, fantastique : le bestiaire apocalyptique et les croyances issues du Moyen-Âge sont encore bien présentes dans l’esprit des paysans. Ils l’assimilent à une hyène venue d’Afrique, à un hybride dressé par l’homme, voire au loup-garou.

Sur la route après Saugues, nous sommes abreuvés de ces récits et impossible de ne pas penser à la Bête qui était sans doute tapie, là, dans les bosquets le long de la Virlange.

Au coeur du Sauvage

Plus nous montons, plus la neige s’invite sur le chemin. A tel point qu’il nous est impossible de poursuivre la route à vélo. Un long portage s’annonce : il va durer jusqu’au crépuscule.

A la nuit tombante, quelle joie que de découvrir le gîte, Le Sauvage, situé en plein cœur des landes. Il perpétue l’accueil des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle depuis le XIe siècle.

Le site, magnifique dans son isolement, est comme un phare au milieu de ces landes désolées.

Le lendemain, après une nuit passée avec les voyageurs qui vont poursuivre leur Chemin, au Truc de la Garde, nous sommes seuls au cœur d’un hiver qui n’en finit pas sur les hauts plateaux du Mont Chauvet. 260 ans plus tôt, une immense battue est organisée dans les bois où nous nous engouffrons.

Peine perdue, la Bête reste insaisissable. Nous sourions quand nous apercevons la toponymie des lieux. Comment capturer un tel animal dans un périmètre aussi sauvage de plus de 100 km2 ? Excédé par cette affaire où le royaume de France est à la risée de l’Europe, Louis XV envoie son plus fin limier, son lieutenant de chasse, François Antoine, porte-arquebuse de sa Majesté. Aux grands battues, il préfère l’affût. Le roi a intérêt à réussir, la définition de la monarchie absolue se fissure, un signe qui annonce la Révolution française qui éclatera 25 ans plus tard…

François Antoine décrit le Gévaudan comme un « pays de montagnes la plupart très élevées, séparées les unes des autres par des gorges ou des vallées profondes ; versants raides et ravinés, couverts de bois bien fourrés et parsemés de rochers ; zones humides en altitude qui constituent d’infâmes bourbiers… tout dans cet environnement physique répulsif favorise la retraite des loups et autres bêtes féroces… ». Le lieutenant de chasse n’a jamais connu un pays pareil : il y reste du 22 juin au 3 novembre 1765.

Ils en viennent à bout, le croit-on, en abattant un énorme loup de 60 kg, le 27 septembre 1765, à Saint-Marie-les-Chaze, village que nous avons traversé la veille. Il est exposé à Versailles et présenté à Sa Majesté. Dont acte, le Roi, selon sa volonté divine, décide que l’affaire est terminée.

La Bête est officiellement morte. Le Gévaudan retourne dans l’ombre et les malheurs de ses habitants n’intéressent plus personne. La région va tomber dans la peur et les ténèbres.

La Bête est revenue

Au XVIIIe siècle, le Gévaudan connaît des hivers rigoureux, nommés de nos jours le Petit Âge glaciaire. Les hommes comme les animaux sauvages souffrent : l’Europe est un continent gelé où la famine fait rage.

Et les prédateurs comme les loups ont faim… En hiver 1766, loin de tout, le paroxysme est atteint. L’Allier gèle et la glace atteint une épaisseur de 50 cm. Les attaques reprennent de plus belle, le combat devient un huis clos entre la Bête et les paysans. Le début de l’année est terrible.

En l’absence de soldats, la Bête se déchaîne et les meurtres sont quotidiens. Et tout semble se lier autour du Mont Mouchet, entre Paulhac-en-Margeride et Auvers : pas un de ces hameaux n’échappe à son passage, à une attaque.

On en revient à la protection de la vierge. A la chapelle de Beaulieu que nous découvrons, l’endroit dégage tout ce mysticisme. Qui n’est venu prier en ces temps des ténèbres ?

Les attaques reprennent au printemps. Le Marquis d’Apcher organise la dernière chasse, aux alentours de notre route vers Auvers. Un chasseur du coin, un certain Jean Chastel abat l’animal à la Sogne d’Auvers le 19 juin 1767. Du jour au lendemain, les attaques cesseront.

La dépouille est analysée au château de Besque. Les mesures sont connues. La tête est large, la mâchoire très puissante. Si l’avant du corps est proche de celui du chien et l’arrière de celui du loup, la longueur des griffes trahirait une domestication…

Une énigme universelle

Si l’histoire de la Bête s’arrête, sa légende ne fait que commencer. L’hybride d’un chien de combat romain et d’un loup confirme également les témoignages des chasseurs de l’époque qui avaient vu la Bête et qui ne ressemblait en aucun cas au loup. Les paysans se sont-ils trouvés face une hyène, un lion apprivoisé ? L’énigmatique Jean Chastel aurait-il pu croiser l’un de ses chiens de combat ? Plusieurs seigneurs de la région nourrissaient une profonde rancœur envers la couronne : la Bête aurait-elle été dressée pour défier le roi ?

Le mystère demeure et ne sera sans doute jamais élucidé. Rarement une région de France ne fut empreinte d’une histoire aussi forte. Même si la Bête a disparu il y a plus des deux siècles, elle hante toujours les forêts et les monts de la Margeride et fera à jamais frémir le randonneur qui osera les parcourir…

  • Carnet pratique
  • De Langeac au Sauvage, nous avons suivi la trace de la Grande Traversée du Massif Central (parcours de liaison), soit 61 km (2920 m D+). Le topo-guide la divise en deux étapes, Langeac-Saugues (33 km) et Saugues – Le Sauvage (31 km). Le balisage est présent mais pas toujours bien indiqué.
  • Le lendemain, nous avons repris notre route, cette fois vers le nord en empruntant la trace principale de la GTMC, celle de l’étape du Sauvage – Paulhac-en-Margeride (23 km). A la sortie du village, sur les hauteurs, nous avons quitté la trace pour rejoindre Auvers via la D41. Du village, nous avons retrouvé la route vers Langeac en suivant la D41, puis la D590 vers Pinols et la D 116 vers Tailhac. Soit au total 63 km (950 m D+) pour cette journée.
  • Logement
  • Le Sauvage, bien sûr à mi-parcours. Un gîte qui propose des chambrées en demi-pension de 2 à 6 lits.
  • www.sauvage-en-gevaudan.com
  • La Grande Traversée du Massif Central
  • https://www.la-gtmc.com
  • Difficultés
  • Nous avons suivi la trace VTT de la GTMC. Essentiellement roulante, la descente vers Saint-Marie les Chaze est cependant difficile à aborder tout comme l’ascension peu après le village. En mars, les chemins étaient relativement boueux. En saison, il devraient s’avérer plus praticables. Notons la toute nouvelle trace, dédiée au gravel. Elle a été inaugurée au printemps dernier. Vous pouvez la compulser sur ce lien. Quasi identique à sa sœur VTT, elle évite cependant les endroits les plus techniques. Ces variantes ne sont cependant pas balisées à ce jour.
  • www.la-gtmc.com/itineraire/grande-traversee-du-massif-central-gravel

ParPierre Pauquay