Découverte | Les Hautes Vallées qui élèvent l’âme
Par Pierre Pauquay -
Nichées entre le massif des Ecrins et le Queyras, les vallées d’altitude de la Grave, de la Clarée et de l’Izoard sont des joyaux qui ont décidé de s’allier pour porter haut leur caractère et leur âme. Il était séduisant de relier en itinérance ces Hautes Vallées.
Cet été, les Hautes Vallées vont nous offrir ce moment d’évasion pour nous arracher de l’ambiance morose de la pandémie et nous rapprocher du rythme qu’offre la terre, universel et immuable. Les aurores, les levers de lune se vivent au coeur d’une montagne que rien ne pourra changer. Au cœur des Hautes Vallées, on part retrouver à VTT cette symbiose avec la nature qui rassure.
La Grave comme Villar-d’Arêne sont une exception géographique. Bien que la Romanche coule dans le département de l’Isère, les deux cantons dépendent des Hautes-Alpes, le département d’outre col. Une incongruité due à leur isolement mais qui a apporté aux villages aussi leur caractère. Les hommes se sont battus sur les flancs de la montagne pour y vivre : le paysage d’aujourd’hui est également leur signature.
La Meije comme horizon
A La Grave, il existe une vallée perpendiculaire à la Romanche qui s’enfuit vers l’est. Elle est l’entrée au Plateau d’Emparis, bien connu des marathoniens de l’Ultra Raid de la Meije (https://www.vojomag.com/ultra-raid-de-la-meije-un-sommet-dendurance/). Elle est également une belle incursion dans ce milieu montagnard humanisé qu’est la Haute Vallée de la Grave.
Départ à Villar-d’Arêne : la route rejoint les villages du Chazelet des Terrasses. L’itinéraire débute en laissant sur notre passage les hameaux déserts des Rivet, des Orliers, et de La Buffe. Là, au bout du vallon, se dresse seul dans la steppe alpine le refuge du Pic du Mas de La Grave, reconstruit avec des techniques actuelles : un luxe loin du monde.
Nous allons y rester la nuit, contempler le paysage et entendre le cri des marmottes… Au crépuscule, la Meije s’illumine sous les derniers feux du soleil : un sommet emblématique qui ne dépasse pas en hauteur ses voisines comme la Barre des Ecrins, mais qui séduit par ses belles courbes tous les amoureux de montagne.
Le lendemain, le périple se poursuit avec un retour vers le Lautaret, un col routier, mais qui cache bien des atouts quand on le gravit par des sentiers parallèles. Les hameaux du Pied-du-Col et des Cours sont reliés par des beaux singles qui courent au milieu des champs de fleurs embaumant l’esprit. En montagne, tous les sens sont en éveil. On en vient à oublier du trafic se déroulant à nos pieds.
Toucher la légende
Au col, nous enclenchons vite le petit pignon pour s’extraire de la foule et rejoindre le Galibier, non son côté routier, mais cette ancienne voie, là-bas en contrebas. Elle fut jusqu’en 1940 la seule piste accessible pour passer de l’Isère à la Savoie. Des hommes courageux l’ont gravie, avec deux pignons, un à gauche, l’autre à droite de la roue. Ces pionniers du Tour de France ont comme nom les Français Emile Georget, Eugène Christophe qui ont gravi le col en tête en 1911 et 1912 ou le Belge Firmin Lambot qui le franchit en 1920. Nos deux vélos, Santa Cruz et Cannondale, sont des oiseaux face à leurs enclumes : rien d’exceptionnel pour notre part que de gravir ce Galibier côté face si ce n’est, toujours à son sommet, cette impression de toucher la légende.
Là-haut, à près de 2700 m, nous baignons dans l’univers des barres rocheuses et des couloirs de pierres. Le Galibier unit le Briançonnais à la Savoie : nous plongeons dans le département en dévalant le long de la Combe de Martavieille. La descente entre dans une montagne plus sauvage, à l’abri des regards de tous ceux qui descendent le Galibier par la route. Nous contournons ainsi la montagne, en longeant le torrent qui nous ramène au pied du Plan Lachat.
Le chemin rapide, nous fait passer d’un monde minéral à un monde de vert tendre. Après avoir traversé des gués et enchaîné le single à flanc du torrent, nous sommes au pied d’une grande échappée sauvage, vers la haute montagne. Une piste militaire mène au Camp des Rochilles : la montagne se montre généreuse et nous offre une ascension accessible à VTT. Près du sommet, nous longeons un poste avancé de la ligne Maginot qui fermait la frontière française, de la Belgique à la Méditerranée.
Vallée merveilleuse ?
Au col des Rochilles se déroule devant nos roues la deuxième Haute Vallée, la Clarée. Le paysage est dessiné de main de maître par les glaciers disparus. Nous nous engageons dans un couloir : on se sent minuscule dans ce chaos de cailloux, de barres rocheuses.
Les pneus caressent ces pierres patinées depuis des millions d’années : nous roulons sur une succession de roches arrondies, presque voluptueuses. A chaque virage, on espère voir le refuge qui se fait attendre. Rien n’y fait : il faut continuer à descendre, à négocier les épingles. Enfin les Drayères : nous ne serons pas les seuls ce soir. Avec la pandémie, la montagne est le salut pour tous ceux qui fuient les concentrations de masse au bord de mer. Dans le refuge, les distances sociales sont difficiles à respecter, mais il y règne une belle ambiance. Beaucoup de nouveaux randonneurs découvrant la montagne ne sont pas habitués de voir des vététistes si haut : pour eux, nous serions presque ces pionniers. Tôt le matin, Christophe arme à nouveau son VTT avec ses sacs de bikepacking.
Il nous tarde de rejoindre la Clarée. Mais elle n’est plus, en saison, cette vallée des merveilles. Cet été, toute la France s’était donné rendez-vous dans les Alpes. Le flot de véhicules semble ininterrompu : à Névache, les parkings de délestage sont pleins et des navettes de bus sont organisées pour emmener les randonneurs d’un jour au plus loin où mène la route. Pour apprécier à sa juste valeur la Haute Vallée, j’y reviendrai en automne quand les mélèzes inonderont de leur lumière orange la magnifique rivière… Sans nous arrêter, nous filons tout droit pour retrouver à Planpinet une échappée à gauche vers la montagne : la clé pour rejoindre plus loin la vallée de l’Izoard et notre retour dans le sauvage.
Lumière de Provence
La piste vers le col de Dormillouze est la porte ouverte aux entrailles de la terre où tout n’est que chaos de roches et de ravins. Quelle différence d’ambiance avec les alpages de la Clarée. Ici, la roche noire capte la chaleur : nous grimpons dans une étuve pour rejoindre le hameau d’Acles.
Aux alentours apparaissent des prés et des champs qui ont été gagnés sur la montagne. Un dur combat qui ne cessera jamais. L’abandon progressif de ces cultures voit la végétation grignoter les parcelles. Plus haut, les pins sylvestres profitent de la clémence du climat haut-alpin pour monter en altitude.
Ils sont nos jalons pour atteindre le col de Dormillouze où nous découvrons un autre univers, avec cette lumière plus vive, typique du Briançonnais. Elle annonce les Alpes de Haute Provence.
Un long sentier en dévers rejoint la passe de la Lause, offrant une vue plongeante vers Montgenèvre.
La sente dévale de plus belle, saute les marches. Au fur et à mesure de la descente, apparaissent les larges chemins et les flancs décharnés des versants des pistes de ski. Nous lâchons les freins dans cette montagne qui a perdu de sa beauté originelle. A Montgenèvre, comme pour les autres stations de sport d’hiver, l’été la déshabille et il nous montre son visage gris, un peu désuet…
Quand on relie par les crêtes les vallées, on ne s’attarde guère dans leurs fonds : là-haut, on est si bien au plus près de la nature. Vite, on enfourche nos vélos pour rejoindre la troisième et dernière Haute Vallée : celle de l’Izoard et plus particulièrement son côté moins connu, la vallée des Fonds de Cervières.
Logement cinq étoiles
Deux chocards nous accompagnent dans l’ascension vers le Mont des Anges : comme eux, nous avons des ailes pour retrouver la crête magnifique, dominée en toile de fond par les forts de Gondran et de l’Infernet. Au sommet, Christophe roule sur un sentier traversant un véritable jardin : la trace n’en est que plus belle.
Les lacs subliment ce versant peu couru, inviolé. La descente vers les Fonds de Cervières est sublime. Rarement nous avons côtoyé un tel single, déroulant son serpent lisse sur des kilomètres.
Dans la montée au col de Péas, les horizons vers lesquels nous roulons s’éteignent l’un après l’autre. Nous arrivons dans la douceur du soir quand la bergère rassemble son troupeau.
Notre havre sera cette tente posée dans l’alpage, à côté de la bergerie. Avec la lumière de la lune, les montagnes exposent leur flanc lumineux et les versants sombres cachent la tente dans laquelle nous nous endormons.
Le lendemain, il va falloir repartir et quitter ce lieu magique. La descente depuis les Fonds de Cervières se poursuit vers Briançon.
A Puy-Saint-Pierre, c’est la rencontre avec le canal d’irrigation qui remonte toute la vallée de la Guisane : une aubaine pour rejoindre le pied du Lautaret.
Un col qui, à nouveau, séduit par son versant sud. La construction de ces routes de cols a abandonné les anciens tracés, devenus de magnifiques chemins de traverse.
Nous roulons sur le seul vrai sentier qui a vu transiter les voyageurs durant des siècles et laissons sur les hauteurs les moteurs vibrer sur cette route sans passé.
Au col, notre aventure se termine en basculant vers Villar-d’Arène, heureux de l’avoir vécue. Durant ces trois jours, le temps fut comme suspendu, laissant de côté les tracas quotidiens. Cette itinérance a relié trois vallées, riches de leur particularisme. Quand on les aborde, leurs beautés naturelles illuminent les yeux et vident l’esprit. Les Hautes Vallées ressourcent l’âme en ces temps difficiles.
Plus d’infos :
- https://www.hautesvallees.com
- Pour découvrir les environs dans le cadre d’une magnifique épreuve, nous vous conseillons sans réserve l’Ultra Raid de la Meije : https://www.ultraraidlameije.fr/