Découverte | Le col du Parpaillon, ce grand inconnu

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Découverte | Le col du Parpaillon, ce grand inconnu

Dans les Hautes-Alpes, il existe de nombreux cols qui ont contribué à la légende du cyclisme. Isolé, celui du Parpaillon, situé à 2.640 mètres d’altitude, est l’un des plus hauts des Alpes et est demeuré inconnu jusqu’à l’apparition du gravel et des réseaux sociaux qui ont porté ce passage comme un monument. Il nous tardait d’aller reconnaître ce nouveau haut lieu du vélo.

Le Parpaillon est un grand solitaire, éloigné d’un peu plus de 30 km d’Embrun et des couleurs émeraudes du lac de Serre-Ponçon qui attirent tant les touristes en été. Isolé des cols de l’Izoard, du Galibier ou de la Bonette, il est un des lieux de passage oubliés entre les départements des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence.

La carte indique une magnifique possibilité d’effectuer une grande boucle de 100 km en empruntant le col du Parpaillon puis celui de Vars. Pour ce périple, l’incertitude demeure. En regardant les chemins dessinés sur les cartes et le tracé du parcours, il nous semble que cette itinérance vers le col du Parpaillon pourrait être idéale à effectuer en gravel, un vélo avec lequel tout doit être encore expérimenté en montagne.

Et ce col fait rêver les gravelistes. Les reportages déjà parus encensent cette traversée et sa route en gravier qui aboutit à un tunnel à son sommet, comparable à celui du Galibier. Mais le passage du col, situé à plus de 2.640 mètres, impose la prudence et certains commentaires mettent en garde de la difficulté de la piste, côté Ubaye qui est ravinée et loin d’être lisse comme on pourrait en rêver.

Mon choix est fait : je reprends mon VTT Santa Cruz Chameleon, équipé en bikepacking pour ces deux jours. Les sacoches Zéfal se limitent à l’une située au niveau du cintre et l’autre installée derrière la selle. Le choix est minimaliste puisque je n’emporte pas de tente et de duvet : l’étape du soir s’effectuera au refuge Napoléon, de l’autre côté du col de Vars. Et tant pis si je vais user les crampons de mes pneus sur le bitume de la route vers le briançonnais.

Au-dessus des gorges de la Durance

Départ depuis la gare des Eygliers, au bord de la Durance et au pied de la fortification de Mont-Dauphin. A la sortie du pont, déjà la nature me jette un clin d’œil avec la fontaine pétrifiante de Réotier : le dépôt de calcite figeant la roche offre une sculpture de pierre étonnante.

A Saint-Clément-sur-Durance, je bascule sur l’autre versant pour rejoindre Crévoux. Il va me falloir emprunter la très belle route en encorbellement dominant les gorges de la rivière.

Il s’agit d’une bonne mise en jambe avant d’attaquer la montagne proprement dite, à Saint-André d’Embrun. Là, la partie devient plus corsée. J’entre dans les premières pentes du col du Parpaillon.

 

A la Chalp, la forêt de pins se substitue à l’alpage. Situé à 1.650 mètres d’altitude, le hameau a gardé tout son charme et le temps n’a visiblement pas eu d’emprise sur lui. Seule une certaine vie s’est arrêtée, celle qui s’organisait autour du four, de la chapelle, de la fruitière et de l’école. De nos jours, quelques habitants et les touristes de passage ne laissent pas tomber le hameau dans l’oubli.

 

Une route incroyable en terre

A la cabane des Espagnols, la route goudronnée s’achève. En été 1939, cinq cents réfugiés républicains espagnols, ayant fui le régime franquiste, furent réquisitionnés et employés à la réfection de la route. Si les Hispaniques donnèrent des coups de pelle à la piste en terre, elle ne bénéficiera jamais d’une refonte complète. Si le col du Galibier, d’Agnel ou de la Bonette se sont recouverts de bitume, le Parpaillon sera laissé en l’état. Les ingénieurs des années 1950 ont préféré revêtir plutôt celui de Vars, en plus basse altitude. Et le Parpaillon tomba dans l’oubli durant plus de cinquante ans. Pour notre plus grand bonheur.

En cas de pluie, la trace se transforme en bourbier et quand la canicule écrase la montagne, le chemin devient poussière.

Un alter égo du Galibier

Ce col est né à la même époque que le Galibier, quand les militaires du XIXe siècle voulaient porter leurs canons plus haut que ceux de l’ennemi. Et il est resté l’ancêtre, l’héritier ce ces premiers cols carrossables. Je me replonge dans cette épopée, celle des pionniers du tour de France. Excepté le vélo, rien n’a changé depuis.

La qualité du revêtement fluctue selon la météo. En cas de pluie, la trace se transforme en bourbier et quand la canicule écrase la montagne, le chemin devient poussière. Le col s’insinue et sinue dans la montagne. Je me prendrais presque pour un globe-trotter en train d’avaler une piste du Karakoram. Le sentiment d’isolement s’accentue quand la piste avance de plus en plus dans la vallée perdue. Vous ne trouverez pas d’autres cols plus isolés que celui-ci.

Le silence d’un col

Les cabanes de bergers se succèdent les unes aux autres. Celle des Ecuelles est la dernière avant la montée sommitale. D’habitude, le vrombissement des moteurs dans un col routier brise le silence de la montagne. Ici, rien que le vent et ma solitude. Il est déjà tard et les motos de trail ont quitté le versant.

La piste est propre, exempte d’aspérités, du moins à certains endroits. Dans l’ascension, des pierriers annoncent sans que je ne le sache le chaos futur de roches dans la descente.

« Si les sommets ne mènent à rien, les cols ont le mérite de mener quelque part », a écrit le grand écrivain et voyageur Nicolas Bouvier. Le Parpaillon est difficile à gravir et on ne peut pas lui en vouloir. Je lui accorde une estime, celle de m’avoir fait passer des Hautes-Alpes aux Alpes-de-Haute-Provence, sans coup férir, excepté celui de mes fessiers et de mes mollets, pour me hisser à 2.640 mètres, à l’entrée du tunnel.

Il me permet d’éviter la dernière rampe sommitale et il s’apparente plus à un boyau taillé dans le roc. On n’y voit rien et le sol est jonché de trous et d’ornières. Sur 520 mètres, la petite lumière blanche grossit de l’autre côté et elle s’ouvre vers un autre ailleurs, la vallée de l’Ubaye et son versant abrupt.

EDIT : Attention, depuis juillet 2024, le tunnel est malheureusement fermé pour une durée indéterminée suite à des éboulements. Sa stabilité est compromise et nous vous déconseillons fortement de l’emprunter. A vélo, il est possible de passer la dernière rampe sommitale au prix de quelques portions de portage. Ou, au pire, de rebrousser chemin après avoir profité de la vue qui est déjà une belle récompense après l’ascension. Dans tous les cas, même si certains continuent de s’y risquer : n’empruntez pas le tunnel !

Descente d’enfer

La descente est vraiment chaotique. Beaucoup plus empierrée que prévu. Avec cette absence de rigoles d’irrigation, l’eau a raviné la trace, tout n’est que chaos de rocs. Ce chemin est pavé d’enfer et de bonnes intentions pour le vététiste ! Je suis un peu le roi et je rejoins les motos de trail que je dépasse ainsi que ces 4X4 parmi les plus gros, en perdition dans cette descente de folie. Je me laisse griser par la pente et soudain par deux fois, le fond de jante tape sur un rocher et je perds dans l’aventure un peu d’air. Si vous venez avec votre gravel et vos jantes en carbone, la surprise pourrait être douloureuse…

« Si les sommets ne mènent à rien, les cols ont le mérite de mener quelque part »
Nicolas Bouvier

L’état de la piste peut changer en fonction du passage des pachydermes à moteur et des orages. Cet été a été sec : les pierres sortent de terre et la poussière schisteuse saupoudre le vélo. Je n’ose imaginer cette descente sous une pluie continue.

 

A VTT, je prends du plaisir à descendre les 20 km. Je plonge vers l’Ubaye qui est une rivière qui s’étend sur 80 kilomètres jusqu’à son embouchure avec la Durance, au lac de Serre-Ponçon. La Haute Vallée ou la Vallis Montis est étroite et cernée de cimes dépassant les 3.000 mètres d’altitude. Des sommets imposants mais jamais écrasants.

Maljasset est ainsi le dernier hameau cul-de-sac de la Haute Vallée de l’Ubaye, un écrin qui n’a guère subi les affres de la modernité. Des générations entières ont vécu en totale autarcie, loin du développement que connaissaient alors les vallées voisines. En hiver, Maljasset était isolé du monde extérieur durant près de 8 mois. Dans le village, on se serrait les coudes, à attendre la belle saison.

A Saint-Paul en Ubaye, je suis à l’entrée de cette vallée magique. Je m’arrête dans un petit café bien sympa et récupère quelque peu avant d’affronter la dernière rampe de la journée. Avec ses 1.000 mètres de dénivelé de part et d’autre de ses versants, le col de Vars est un des grands cols des Alpes.

 

La motivation pour rejoindre le confort du refuge Napoléon me donne un sursaut d’énergie pour gravir la dernière passe. Au sommet, le soleil déclinant éclaire toute la vallée vers le guillestrois et mon havre de paix, situé juste de l’autre côté, versant sud.

Merci Napoléon…

Le refuge Napoléon fait partie des six refuges édifiés vers 1850 sous le règne de Napoléon III. Ils sont le leg de son aïeul, Napoléon 1er en remerciement de son accueil par le département des Hautes-Alpes lors de son retour d’exil de l’île d’Elbe. Leur fonction d’alors était de porter secours aux voyageurs perdus lors des tempêtes de neige. En fin de journée, vidé par ces 2.660 mètres de D+, je me repose dans ce lieu de convivialité. Le repas sera ravigotant, et la nuit, douce. Le lendemain, je me laisse glisser dans les pentes du cols de Vars jusqu’à son pied, à Guillestre.

Je passe sous la magnifique fortification de Mont-Dauphin pour rejoindre Eygliers, but de ce voyage. Cette itinérance de deux jours a permis de rejoindre un col devenu mythique, anachronique : ce géant endormi s’est bel et bien réveillé depuis l’avénement du gravel… même si, selon-nous, un VTT reste le meilleur moyen d’en profiter. Surtout de sa descente.

CARNET PRATIQUE

  • La boucle
    Passant des Hautes-Alpes aux Alpes-de-Haute-Provence, le tour comptabilise 100 km pour un cumul de dénivelé positif de 2.680 m.
  • Gravel or not gravel ?
    Ce grand tour pourrait être sa quintessence. D’Eygliers au sommet du col, le gravel donne toute son utilité et sa pleine mesure. Nous serons moins dithyrambiques et enthousiastes pour la descente du Parpaillon côté Ubaye qui pose un gros problème de taille. Sur près de 15 km, la piste est vraiment défoncée, chaotique. Ce que l’on « perd » à VTT dans l’ascension, on le gagnera aisément dans la descente. Notre avis est cependant subjectif : certains gravelistes trouveront par contre cette descente grisante, ce qui est le cas, avec son côté défoncé.
  • Logement
    En une journée, il y a la possibilité d’effectuer toute la boucle (tout de même 100 km…) mais profitez peut être du Refuge de Napoléon, situé idéalement à un kilomètres après le sommet du col de Vars.
  • Départ d’une gare
    Nous avons débuté notre tour à partir de la gare d’Eygliers (Mont-Dauphin), bien pratique. Cette gare est reliée à la ligne Valence-Briançon. Et rien ne vous empêche de démarrer également de la gare d’Embrun et de rejoindre Crévoux, via la D 994 D (Clot Peyrolier puis les Clozards).

ParPierre Pauquay