Découverte | Hutchinson Python : histoire d’un mythe bien vivant
Par Olivier Béart -
Lancé il y a près de 30 ans, le Hutchinson Python a fait souffler en son temps le vent de l’évolution dans le monde du pneumatique VTT. Crampons bas et rapprochés, section importante permettant de rouler à basse pression : voilà des caractéristiques toujours très actuelles et qu’on retrouve encore sur la 3e génération qui vient de sortir. Vojo s’est rendu à Montargis, à l’usine Hutchinson, pour évoquer la genèse de ce pneu mythique en allant à la rencontre de ceux qui l’ont fait et qui le font toujours vivre aujourd’hui.
Le Hutchinson Python a fait son retour il y a peu dans une troisième version qui reprend clairement les principes de base du tout premier Python, sorti il y a bientôt 30 ans. Avec un crédo : la performance pour un usage XC.
Le Python 3 a aussi pour objectif de ramener ce nom mythique sur le devant de la scène ; une place qu’il avait perdue depuis quelques années, dans sa deuxième version qui, à force de rechercher plus de polyvalence, avait fini par oublier ses racines.
Vous raconter l’histoire de ce pneu et de ce nom mythique : voilà un beau prétexte pour prendre la route de Montargis, siège de Hutchinson, et pour aller à la rencontre de ces hommes et femmes qui ont fait et qui font toujours le Python aujourd’hui. Car oui, le Python est bien une création française et, mieux encore, une production made in France.
Il était une fois le Python
Pour nous raconter l’histoire du Hutchinson Python, nous avons pu compter sur des guides de choix, à commencer par Norbert Gangloff, aujourd’hui retraité mais qui nous a fait le plaisir de revenir pour l’occasion afin de partager ses souvenirs des débuts du Python au milieu des années 90. Il est accompagné de Guillaume Trouvain, qui fait partie de la jeune génération aux manettes du développement du Python 3 sorti cette année.
Et nous avons aussi pu compter sur les précieux souvenirs de Joël Balez, l’actuel responsable du développement des produits cycle qui était déjà dans une autre division du groupe Hutchinson au moment des débuts du Python et qui a suivi son évolution au fil des générations.
Avec un des premiers exemplaires du Python entre les mains, Norbert se lance : « Hutchinson était déjà présent dans le vélo depuis longtemps, mais plutôt pour de la grande consommation. Nous avons commencé les « vrais » pneus de VTT haut de gamme avec le On The Rocks au début des années 90. C’était un bon pneu, mais conçu à une époque où il n’y avait pas encore de spécialisation dans le VTT. On faisait du XC et de la descente avec le même vélo. Avec les mêmes gommes aussi. Puis, quand le VTT est devenu discipline olympique, tout a changé. Et nous avons senti que nos produits devaient évoluer aussi. C’est comme cela que l’histoire du Python a commencé. »
En plus de Norbert Gangloff, Hutchinson a élargi son staff dans le VTT en recrutant un technicien course en la personne de Luc Larousse. « On a commencé à travailler ensemble avec les coureurs, en essayant de mettre en place une vraie démarche de développement sur base des retours de la compétition. Aujourd’hui, cela semble évident, mais ça ne l’était pas à l’époque. Beaucoup d’athlètes roulaient encore avec ce qu’on leur donnait comme matériel et il y avait encore beaucoup de croyances un peu irrationnelles sur le poids, le rendement. »
« Au niveau des pneus, ce qui avait la cote, c’était les modèles cramponnés et étroits, qu’on gonflait à 3 bars pour le rendement. Autant vous dire qu’on a jeté un fameux coup de pied dans la fourmilière avec le Python, quand on a débarqué avec un pneu en 2.1 de section contre les 1.7/1.8 qu’on voyait le plus souvent. Ajoutez les crampons bas et une recommandation de pression autour de 2 bars et vous comprenez que ça n’a pas été facile. Autant avec les athlètes qu’avec notre hiérarchie en interne. D’ailleurs, on a d’abord sorti le Caméléon… »
Mais les moules étaient prêts et l’envie de tester bien trop forte au sein de cette petite équipe de techniciens persuadés que ce qu’ils avaient ébauché sur leur planche à dessin pouvait marcher sur le terrain. Alors, Luc et Norbert ont décidé de lancer discrètement une petite production d’une centaine de pièces.
Le Python, ce n'était pas juste un nouveau pneu, c'était une nouvelle philosophie.
Joël Balez ne travaillait pas encore dans la division vélo, mais il se souvient : « Je voyais Norbert et Luc à la cantine, et comme ils savaient que je roulais à VTT, ils m’ont parlé de leur projet et ils m’ont permis de rouler une de leurs premières paires de test. Cela a été une vraie révélation. Ce n’était pas juste un nouveau pneu qu’ils présentaient, c’était une nouvelle philosophie. Fini de se faire brasser à s’en faire déchausser les dents, le rendement était là, et on crevait moins aussi. C’était incroyable. »
Après ces premiers tests concluants en interne, Luc Larousse s’est chargé de convaincre les premiers athlètes d’essayer ce pneu atypique et de leur faire confiance. « On a dû un peu insister au début mais les premiers qui ont accepté d’essayer ont adoré. Le mot est vite passé dans le peloton, des teams l’ont adopté et on a commencé à gagner des courses. Jusqu’aux Jeux Olympiques avec Paola Pezzo, ce qui a vraiment lancé l’histoire du Python », se souvient Norbert.
La construction d’une légende
Pour illustrer cette place que le Python a prise dans l’histoire du VTT, nous avons amené quatre vélos de la collection Vojo à l’usine de Montargis. Bien évidemment équipés en Python. Tout comme le Rockrider 940S de Mathis Azzaro, du team Decathlon-Ford, qui illustre ce qu’est devenu le XC aujourd’hui et comment le Python a évolué.
On commence bien entendu par le Gary Fisher avec lequel Paola Pezzo a remporté le premier titre olympique de l’histoire du VTT en 1996 à Atlanta.
Notre réplique, basée sur un authentique cadre édition limitée sorti juste après le titre de l’italienne, est équipé de Hutchinson Python de première génération, eux aussi issus d’une très rare édition limitée sortie pour célébrer la médaille d’or olympique et le titre mondial de Paola Pezzo. Cerise sur le gâteau, ils sont ici en plus dans une version Team Competition, réservée aux équipes sponsorisées.
Auréolé de ses victoires, le Python est rapidement devenu LE pneu que tout le monde voulait avoir et aussi que toutes les marques voulaient pour équiper leurs vélos haut de gamme.
Symbole de cette période faste, le Sunn Exact Flex Ti, qui était en 1997 un des vélos les plus prestigieux et onéreux de sa génération, était bien évidemment équipé en Python.
En 2000, Paola Pezzo a conquis son deuxième titre olympique toujours équipée en Hutchinson Python, mais c’est aussi le team Cannondale qui a donné beaucoup de visibilité à la marque et à son modèle phare. En témoigne ce Cannondale CAAD6 prototype, construit pour Cadel Evans en vue des JO de Sydney en 2000.
Il est équipé du fameux Python Gold à flancs jaunes, dont Norbert nous explique la genèse : « Nous avions déjà fait des pneus colorés pour le BMX et des vélos de grande distribution. Mais dans le haut de gamme, c’était un beau challenge de marier des gommes différentes sur une même carcasse. Personne ne l’avait jamais fait dans le VTT haut de gamme et c’est parti d’un défi de techniciens. Puis, quand on en a parlé au marketing, ils ont adoré et nous avons eu le feu vert de la direction pour récupérer une machine servant à la base pour des pneus de moto. C’était juste une histoire d’esthétique, mais ça a marqué les esprits et encore plus assis la réputation du Python. »
En 2000/2001, le Python est acteur d’une autre grande révolution : celle du tubeless UST. Avec Michelin, Hutchinson est l’autre grand manufacturier de pneus à se lancer dans l’aventure avec Mavic. Et le team Orbea Zeus de l’époque a été un des premiers à être équipé de cette innovation qui allait révolutionner le VTT. Vous voyez ici le vélo du Belge Patrick Trévisan, rival de Julien Absalon en catégorie Espoirs à l’époque.
Norbert se souvient : « Jean-Pierre Mercat (R&D Mavic), a toujours eu un cerveau très prolifique et un jour, il est venu nous voir en disant que Mavic était capable de faire une jante étanche. Chez Hutchinson, nous avions une directrice, Mme Bellos, qui aimait les challenges et qui a embrayé avec nous. Cela a pris du temps avant qu’on puisse sortir la version définitive ! Peu de gens le savent mais nous avons commencé à travailler sur le tubeless déjà en 1998. Et choisir le Python a été une évidence pour nous. »
« Les premiers essais n’étaient pas vraiment concluants. Nous étions allés dans le Ventoux, et on rebondissait de partout. Alors, on a modifié les carcasses, on a fait en sorte de vraiment pouvoir baisser en pression pour rouler à moins de 2 bars. Le pneu était lourd, mais même les compétiteurs fans de poids ont vite été conquis. Je me souviens, un des premiers teams à l’avoir roulé en course était l’équipe Orbea sur Paris-Roubaix VTT. Ils étaient parmi les seuls à ne pas avoir crevé et leurs deux coureurs belges (Patrick Trévisan et David Galle, NDLR) avaient fait un doublé si je me souviens bien ! Je suis aussi assez fier que nous ayons réussi à faire des pneus à tringles souples qui tenaient la montée à 4 bars de pression nécessaire pour faire claquer les tringles au montage, alors que Michelin était resté sur des tringles rigides. »
Par la suite, cette technologie tubeless a continué d’évoluer et elle s’est démocratisée au point qu’aujourd’hui, quasiment plus personne ne roule en chambres à air. On a commencé à retrouver massivement des pneus tubeless assez rapidement, comme sur le premier Cannondale Scalpel sorti en 2002.
Il était monté d’origine avec des Python tubeless UST à liserés gris. « C’était une couleur très difficile à obtenir. Il fallait mettre une pâte d’aluminium dans la gomme. Au départ, les chimistes nous disaient que ce n’était pas possible… mais au final, ils ont quand même réussi. C’est un bon exemple de la force d’Hutchinson, qui appartient à un très grand groupe avec énormément de ressources en interne. Et si le design du Python a très peu évolué sur les 10/15 premières années de son existence, la gomme, elle, avait fait d’énormes progrès. »
Par la suite, de l’aveu même de Joël Balez, le Python a un peu perdu de son âme en devenant le Python 2. « On a cherché trop de polyvalence, on a rehaussé les crampons latéraux, on a mis de la gomme tendre. On avait oublié les fondamentaux et on a justement voulu y revenir sur le Python 3. » On passera donc brièvement sur ce modèle (au centre), pour en venir au présent et à sa version 2024 !
Python un jour, Python toujours
On ne vous apprend rien en vous disant que le XC moderne a beaucoup évolué ces dernières années. On le voit sur le Rockrider 940S de Mathis Azzaro, présenté ci-dessus.
« Dans nos contacts avec les équipes que nous équipons, il est ressorti que le Skeleton était trop fin et plus vraiment adapté ni aux vélos contemporains, ni aux circuits, ni au pilotage des athlètes actuels. Ils nous ont donc challengés en demandant plus de volume pour rouler à basse pression et de petits crampons rapprochés. On aurait pu simplement faire un Skeleton plus gros, mais le profil ne fonctionnait plus aussi bien et j’ai tout de suite repensé aux débuts du Python. C’est apparu comme une évidence qu’il devait revenir sur le devant de la scène, dans une version actualisée purement dédiée au XC performance, » explique Joël Balez avec un peu d’émotion dans la voix.
L’idée de conserver l’arête centrale s’est vite imposée car c’est le moyen de constituer une bonne bande de roulement avec du grip et un bon rendement. Puis, les crampons latéraux ont été redessinés et repositionnés en préservant l’esprit du Python.
« Nous avons fait un pneu un poil plus rond que le Python originel, avec une transition plus progressive entre la bande centrale et les crampons latéraux qui sont plus bas et qui jouent beaucoup sur les basses pressions pour être efficaces et agripper les reliefs. On a aussi ajouté des lamelles pour qu’ils se déforment mieux, et surtout les meilleures gommes issues de nos dernières recherches, » poursuit Guillaume Trouvain.
Dès les premiers essais aux Gets en 2023, les pilotes ont adoré. « Je suis arrivé avec quelques protos, les pilotes ont essayé en reconnaissances et ils ont d’emblée décidé de les conserver pour la course. Je n’étais pas à l’aise du tout car c’étaient vraiment les premiers exemplaires, mais ils ont pris leurs responsabilités et pour nos équipes de R&D, c’était la plus belle des récompenses. »
Malgré tout, les athlètes du team Décathlon-Ford n’ont pas laissé les gars de chez Hutchinson se reposer sur leurs lauriers, puisqu’ils ont directement demandé à avoir une version encore plus roulante, légère et performante du Python, pour le Short Track et les parcours plus roulants.
C’est ainsi qu’est né le Python Race. « On a repris l’arête centrale, mais en version miniaturisée et dupliquée plusieurs fois pour faire une bande centrale à la fois très roulante mais avec de mini crampons qui agissent comme de petites ventouses sur les reliefs. Et de vrais crampons latéraux pour le grip en virage. C’est un pneu extrême, taillé pour rouler vite, mais qui en a surpris plus d’un par son grip malgré tout ! »
Un savoir-faire toujours bien français
Il est aussi important de souligner que le Python 3 et sa déclinaison Race sont toujours fabriqués en France, dans l’usine de Montargis, où sont aussi fabriqués tous les pneus route, gravel et VTT haut de gamme de la marque.
On fabrique des pneus ici depuis 1870 et, si les matériaux et les techniques ont bien évolué depuis, lors de notre visite, nous avons encore rencontré des machines quasiment centenaires.
C’est le cas de cette calandre qui sert à déposer la première couche de caoutchouc sur les bandes textile qui vont constituer la carcasse.
La production peut aussi compter sur des machines beaucoup plus récentes, comme pour le positionnement de la bande de roulement avant le moulage, mais on remarque que la main de l’homme (et de la femme) reste très présente à toutes les étapes de la production.
Découpe en biais de la nappe-carcasse, assemblage des différentes couches,…
Et aussi évidemment l’impressionnante étape du moulage…
Où le pneu prend sa forme définitive après une cuisson vapeur de 3 minutes à 180 degrés…
Sans oublier bien sûr le laboratoire d’essai, qui vient valider les prototypes et la constance dans la qualité de la production…
Partout, les mains expérimentées du personnel de l’usine s’affairent devant nos yeux dans un ballet impressionnant et passionnant à contempler.
Notre journée s’est d’ailleurs conclue par un petit verre en compagnie des équipes de l’usine, autour de ces machines de rêve et de course qu’ils ont contribué à équiper et à faire gagner au fil des années.
Et il semble que ce n’est pas près de s’arrêter !
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