Découverte | Davos, la montagne partagée
Par Pierre Pauquay -
En ce début d’automne, nous avons voulu connaître l’ambiance de la montagne quand elle bascule doucement vers le crépuscule de l’année. La nature se montre généreuse en tonalités à cette période et offre au randonneur une ambiance ensorcelante.
À la basse saison, la montagne suisse ne ferme pas ses portes à ses visiteurs. Les villages et les stations des Grisons connaissent encore une certaine effervescence. Comme à Davos où nous avons décidé de poser nos bagages, pour deux jours en itinérance vers une cabane d’altitude, la Keschhütte.
Davos a connu un développement comparable à celui de Leysin ou Villars-sur-Ollon dans les Alpes vaudoises au début du siècle dernier quand les malades atteints de tuberculose venaient s’y ressourcer et guérir. Elle n’a cessé depuis de s’étendre, de connaître le faste d’une grande station de sports d’hiver. En ignorant cette consonance de lieu de villégiature destiné aux fortunés et de rendez-vous pour le forum économique mondial qui réunit les puissants de ce monde, Davos offre hors saison l’image d’une petite ville suisse bien paisible et une destination rêvée pour le VTT.
Elle a choisi un développement raisonné, en partageant les sentiers avec les autres usagers, sans cloisonner les vététistes dans un bike park. Car ici, les traces s’étendent sur un immense secteur entre Davos et Closters. Olivier avait d’ailleurs développé le sujet en novembre 2023.
Il nous tardait donc de rouler sur ces sentiers partagés via un des itinéraires balisés dont fourmille Davos. L’un d’eux a retenu notre attention, le parcours numéroté 339 qui rejoint un refuge, une cabane selon la terminologie suisse, la Keschhütte située à 2 600 m et encore ouverte en ce mois d’octobre.
La plus haute d’Europe
Avec son altitude de 1560 m, Davos est la ville la plus haute d’Europe. L’itinéraire profite de cet avantage pour rejoindre les premiers alpages, situés si près des rues commerçantes. Car si l’on excepte les quelques bâtiments disgracieux, Davos baigne dans une ambiance de montagne. La région offre un étonnant contraste : sur quelques kilomètres, le paysage d’alpage se mue en parois de granit, en ancien cirque glaciaire.
À Gross Alp, le hameau fait de bois et de pierres s’intègre au site grandiose de la vallée du Dischmatal. La route se termine à l’auberge de Dürboden : c’en est fini pour la section la plus roulante.
Un petit pont et nous voilà à la porte de la haute montagne. Un ancien sentier muletier sillonne le haut de la vallée. En s’approchant de la paroi, il s’élève, se dresse de plus en plus. Au milieu des pierriers et des couloirs, nous nous aventurons dans un lieu qui ne devrait pas être celui du VTT. Et pourtant, bien que raide et étroit, le sentier offre le domaine du possible à nous porter haut, malgré l’altitude conséquente et son royaume de la roche. Les larges dalles se substituent à une trace plus étroite mais roulable, partagée entre les randonneurs et les vététistes.
Les joies d’un trail naturel
Sur le sentier en ce mois d’octobre, il y a peu de monde : nous roulons seuls sur cette terre qui ne cesse de s’avancer vers le sud. Alors que nous nous approchons du col Scaletta, de grands pavés forment un magnifique chemin en altitude : ce col fut sans nul doute un lieu de passage important entre la confédération suisse et la Lombardie.
À 2605 m, il est franchi. Le temps hésite entre l’automne et l’hiver. Les nuages et les éclaircies luttent pour emporter la mise tandis que la lumière ténue se diffuse sur les versants déjà roussis par le gel.
Le paysage change du tout au tout. Le côté débonnaire, versant Grisons, devient plus sauvage quand on bascule en Haute Engadine. Le doux alpage se mue en roc. La montagne est tranchante, ciselée, brute. Entre le Rocktehora (3019 m) et le Scalettahora (3067 m), le sentier se fraye un passage, se tortille mais nous ne mettrons pas pied à terre. Grâce à leurs suspensions de qualité, nos VTT se faufilent entre les rochers et les pierriers sans faillir.
Le plaisir de pilotage reste intact. Au fil de la descente, l’univers de la pierre et du rocher se montre plus hospitalier. Les premiers alpages et les lieux de vie apparaissent. Le sentier devient un chemin que nous dévalons rapidement car les nuages deviennent menaçants.
La descente vers l’Alp Funtauna repousse à n’en plus finir les joies d’un trail : rarement un sentier naturel ne fut aussi bien tracé dans la montagne. La dégringolade se poursuit jusqu’à la bergerie. Elle se situe dans une vallée d’altitude, perdue, loin de l’image de la station peuplée de Davos, située pourtant derrière la montagne. Rien n’est superficiel, tout est vérité. Il n’est pas étonnant de retrouver une faune et une flore remarquables.
Une vallée perdue de l’Engadine
En ce mois d’octobre, nous sommes seuls et il va falloir ne pas trop traîner avant la tombée de la nuit. La trace sillonne un alpage discret où les clochettes des brebis n’enchantent plus la vallée. Le Val Funtauna est une vallée latérale moins connue de l’Engadine qui se prolonge vers l’est, vers le Val Susauna.
À l’époque des muletiers, ce passage était très fréquenté sur le chemin du sud qui reliait depuis des siècles la culture rhéto-romanches à la lombarde. Nous empruntons en grande partie la voie historique dont la substance d’origine a été en grande partie conservée ou remise en état. Le sentier est aisé à parcourir mais il devient très raide pour monter à la Keschhütte et il épuise les corps.
La communauté des randonneurs
Le soir à la cabane, les Suisses n’abandonnent pas de sitôt leur montagne. Il y a du monde, comparé à notre aventure si solitaire. Les randonneurs sont tous installés autour des tables et les gardiens du refuge se sont déjà affairés pour le diner. Nous entrons dans ce havre où le poêle ronronne et l’odeur du potage rassemble les hommes. Les 1500 m de dénivelé et la forme physique moins étincelante auront eu raison de nos capacités.
La nuit est sombre, sans lumière. Nous écoutons avec délice la respiration de la montagne, ce vent venu du nord qui, une semaine après notre passage, apportera l’hiver. Nous aimerons y retourner en cette période. Connaître, ne fût-ce qu’une fois, ces tempêtes hurlantes dans cette contrée d’enfer car ici l’hiver est l’un des plus rigoureux de Suisse.
Un lendemain heureux
Tôt le matin, il a déjà gelé et la neige a saupoudré les sommets. La cabane offre une vue panoramique grandiose sur les glaciers. Après la nuit froide, le soleil s’est levé derrière la montagne scintillante de gel. La lumière pure cristallise l’horizon. Remontant nos cols et enfilant les gants, nous quittons la cabane à l’aube pour débuter de suite de la descente vers Chants, hameau situé dans son splendide isolement.
Peu après avoir quitté la Keschhütte, une balise mal placée aurait pu nous induire en erreur et nous aurait dirigé vers un sentier réservé aux marcheurs, très technique. Nous suivons la trace vers la gauche qui va descendre sur la rive gauche de l’Ava da Salect.
Soudain, une ombre passe, furtive. Sans aucun bruit, un gypaète barbu passe au-dessus de nous. Entre 1991 et 2007, une petite trentaine de rapaces a été réintroduite dans le Val da Stabelchod. Depuis, le grand charognard a étendu son territoire dans les Grisons. À Chants, on s’offre un petit café, rappelant une Italie pas très éloignée…
Patrimoine de l’UNESCO
Nous nous laissons glisser dans le Val Tuors, le chemin proposant peu de difficultés. De Latsch à Filisur, le parcours traverse la forêt menant vers les gorges de Zügen qui paraissent infranchissables. Et pourtant les calèches parvenaient à les traverser et passaient par des ponts vertigineux et des tunnels.
Le chemin en gravier sur lequel nous évoluons est cet héritage. Au début du XXe siècle, le train a remplacé ce chemin périlleux. Nous côtoyons le Bernina Express, inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO qui sinue entre précipices et viaducs, comme celui de Wiesen, haut de 80 mètres. De Coire à Tirano, cette ligne emprunte pas moins de 55 tunnels et passe sur 196 ponts !
À Wiesen, le village est exhaussé à l’extrême. La côte sur la rue principale semble sans fin. Plus loin, le sentier, cela se voit, est remarquablement entretenu. Il est nettoyé des éboulis et renforcés par des longerons en bois en traversant des rimailles.
Le singletrail clôture en apothéose cette itinérance dans les montagnes des Grisons. Deux jours, il nous aura fallu seulement deux jours pour se déconnecter du monde et vivre intensément. Et découvrir de magnifiques sentiers naturels partagés par tous.
- Carnet pratique
- Parcours
- On suivra l’itinéraire balisé 339, long de 72 km et comptant 2 800 m de D+. Tenez compte du mauvais balisage, peu après la Keschhütte.
- La trace GPX est disponible sur
- www.schweizmobil.ch/fr/suisse-a-vtt/itineraire-339
- Infos complémentaires
- Pour organiser votre séjour, se renseigner sur les trains et les logements…
- www.graubuenden.ch