Découverte | Au plus près des étoiles : l’ascension du Pic du Château Renard en gravel
Par Pierre Pauquay -
Dans les Alpes, il est rare de pouvoir grimper à vélo à près de 3.000 mètres d’altitude. Juste avant l’hiver, Vojo est allé rencontrer tout là-haut les premiers frimas en rejoignant le Pic du Château Renard en gravel, l’observatoire le plus haut d’Europe.
Ah le Queyras ! Cette région des Hautes-Alpes a déjà fait l’objet de nombreux reportages dans Vojo. Mais peu de lignes lui ont été consacrées pour la pratique du gravel. Une lacune qui a été comblée le 25 octobre dernier. Retour sur cette journée de tous les contrastes.
Depuis La Chalp, je compte d’abord rejoindre non pas un col ou un sommet, mais le village perché le plus haut d’Europe, Saint-Véran. Et son altitude est sans équivoque : 2.050 mètres pour un lieu habité toute l’année. Elle dépasse celle de la plupart des stations de ski. Tignes en Savoie la rivalise mais demeure artificielle et fut construite pour le loisir. Ici, à Saint-Véran, on y vit depuis des siècles, à travailler dans les prés tout l’été ou à se blottir face au froid intense en hiver.
L’ascension débute tout d’abord dans un pâturage puis sur un chemin plus escarpé longeant l’Aigue Blanche, un torrent qui charrie ici une eau glacée. Au Pont du Moulin, j’ai engrangé près de 100 m de dénivelé et au-dessus de moi je distingue les toits de Saint-Véran se détachant sous le ciel bleu et pur de la haute altitude.
Encore deux lacets et me voilà à l’entrée du village : je passerai pour l’aller par le quartier du Raux et rejoindrai directement les prés de fauche. Les flancs raides sont réservés aux prairies, le fond de vallée étant trop encaissé. Je descends à flanc de coteaux pour atteindre à nouveau le torrent.
... à Saint-Véran, on y vit depuis des siècles, à travailler dans les prés tout l’été ou à se blottir face au froid intense en hiver.
Vers le lac de la Blanche
De palier en palier, le chemin remonte le torrent : la vallée de l’Aigue Blanche est le parfait exemple de l’opposition entre son adret et ses pentes ensoleillées recouvertes d’alpage, et son ubac, exposé au nord et colonisé par une forêt de mélèzes. A 2.200 m, je quitte la protection du sous-bois pour rejoindre un monde plus minéral, plus austère.
Dominant le chemin carrossable, la chapelle de Clausis défie les conditions météorologiques. Située à 2.400 mètres d’altitude, elle est la porte de la haute montagne, marquée par le cirque glaciaire barré par la Tête du Longet (3175 m), la Rocca Bianca (3059 m), le pic de Caramantran (3025 m), la Tête des Toillies (3177 m) ou Tête Noire nommée ainsi à cause de sa couleur noire et schisteuse.
Je poursuis quelque peu sur le chemin qui traverse le plateau pour rejoindre le lac de la Blanche. En saison, le refuge éponyme accueille les randonneurs assoiffés. Fermé en ce mois d’octobre, je retourne vers Saint-Véran pour emprunter sur la droite le chemin menant vers l’observatoire.
Phare d’altitude
A vélo, je vais toucher les étoiles en gravissant le pic du Château Renard via ce chemin carrossable serpentant dans les hautes altitudes. Les pluies d’automne ont quelque peu modifié cette trace d’habitude plus roulante et aisée.
Je rencontre plutôt des ornières et une boue collante : les pneus de mon gravel ne sont guère adaptés. Qu’importe : plus je grimpe, plus le froid fige le sol. Le chemin gèle et devient plus roulant, du moins jusqu’à 2.600 mètres. Peu après la bifurcation vers le col du Longet, le chemin caracolant sur le versant se couvre peu à peu de neige : l’hiver a déjà établi ses quartiers en altitude.
En cette fin octobre, à près de 3.000 mètres d’altitude, les conditions météo sont dantesques là où se détachent les coupoles blanches de l’observatoire le plus haut d’Europe.
Je me sens si petit dans le domaine de la haute montagne. En cette fin octobre, à près de 3.000 mètres d’altitude, les conditions météo sont dantesques là où se détachent les coupoles blanches de l’observatoire le plus haut d’Europe. Construit dans les années 1970, il est un phare de l’altitude.
A 2.930 mètres, l’absence d’éclairage urbain et un air sec permettent aux astronomes d’observer un ciel parmi les plus purs au monde. Dommage d’avoir oublié mon pyjama car l’observatoire accueille pour la nuit les visiteurs…
Au sommet, un vent violent soulève la neige saupoudrée et me claque au visage. Le ballet de nuages offre un spectacle magnifique que doivent connaître les alpinistes, moi qui ne suis qu’un simple cycliste venu côtoyer ce monde minéral et austère.
L’anémomètre de l’observatoire tourne comme un fou et donne une idée de la force du vent. Je me sens à la fois si loin de la civilisation et si proche quand je vois en contrebas les minuscules maisons de Saint-Véran.
La journée est déjà bien avancée : la route du retour s’amorce. Je ne suis pas sur mon VTT, le gravel demande plus d’attention dans la descente. Les pneus accrochent mal et la fourche en carbone ne pardonne pas les erreurs de trajectoire. Ces 8 kilomètres de descente seront parcourus à un rythme de sénateur.
Blanche-Froide
La petite route me mène en plein coeur de Saint-Véran ou Blanche-Froide, nommée ainsi après la Révolution française, un nom plus en adéquation avec les lieux, ce qui n’est pas pour me déplaire. Dans la ruelle principale, interdite à tout véhicule, je longe les maisons alignées plein sud qui reçoivent le maximum d’ensoleillement. La base de la bâtisse en pierre, le caset, est surmontée d’un grand grenier aéré, appelé le fuste. Leur taille, immense, était nécessaire pour emmagasiner un stock important de foin pour résister à la mauvaise saison.
Le tourisme a donné au village un coup de jeune : une restauration remarquable, mais qui ne peut effacer les dures conditions de vie qu’ont connues les habitants quand ils étaient isolés du monde extérieur. A une telle altitude, il était courant de voir la neige six mois par an, de voir le gel figer la terre pendant 200 jours et de connaître un hiver qui n’en finissait pas, et de subir des tempêtes de neige inimaginables. Je longe des fontaines… en bois qui n’éclatent pas comme celles en pierre lorsque l’eau gèle et relie les petits quartiers.
Saint-Véran est réparti en cinq zones. Elles sont séparées les unes des autres par des espaces afin d’éviter la propagation des incendies. Le village ne subira pas le sort d’Aiguilles en 1783 ou de Ceillac en 1738. Ce qui fait toute la richesse architecturale et patrimoniale d’un village qui a traversé les siècles sans trop de dommages.
A la sortie du village, je parcours un chemin très agréable, facile à aborder. J’entre dans les bois des Amoureux qui est une ode à la beauté. Au cœur des mélèzes, je contourne la montagne pour me retrouver dans l’autre vallée parallèle, le val d’Aigue Agnelle. J’aurai descendu quelques peu mais flirte toujours avec les 2.000 mètres d’altitude.
Au Pont de Lariane, je rejoins la route du col Agnel qui traverse Fontgillarde. Si son altitude de 1.997 mètres est un peu plus basse que celle de Saint-Véran, en janvier et en février, le soleil ne parvient pas à passer au-dessus de la montagne de Beauregard et ne peut réchauffer le village. Le froid est plus extrême, le gel permanent. Ne dit-on pas ici « quelle infortune, l’hiver pas de soleil, l’été point de lune » ?
Un peu plus bas, la vallée s’ouvre à l’approche de Pierre-Grosse et de Molines-en-Queyras qui se gorgent de lumière. L’itinéraire traverse le village et pique vers la jonctions des deux torrent de l’Aigue : il sera mon fil d’Ariane pour retrouver La Chalp. En arrière-plan, les sommets enneigés témoignent d’un hiver en devenir : la montagne va peu à peu plonger dans son silence blanc et originel.
Carnet pratique
- Pour cette randonnée, nous sommes partis de La Chalp, au pied de Saint-Véran où se situe un grand parking aménagé à côté de la station de ski.
- La balade compte 53 km pour un dénivelé positif de 1600 m, via la chapelle de Clausis, le refuge de la Blanche, l’ascension du Pic du Château Renard et retour par Fontgillarde puis Molines.
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