Découverte | Andrea, le camp de base roulant de Nina Caprez et Jérémy Bernard
Par Paul Humbert -
Il y a des projets qui sortent de l’ordinaire, et c’est le cas d’Andrea. Andrea est gros, mais costaud, et c’est un camion Mercedes Unimog de 1991. À son bord, on retrouve la grimpeuse Nina Caprez et le photographe Jérémy Bernard. À l’arrière, deux vélos sont chargés pour prendre la route et un mur d’escalade est fixé sur le toit. Au programme de ce « base camp » roulant, pas mal de kilomètres pour aller s’aérer et prendre du bon temps, mais également pour tenter d’apporter un peu de joie auprès de ceux qui en ont besoin. Rencontre :
Nous retrouvons Jérémy et Nina le matin du premier départ d’Andrea. Après des mois de travail à nettoyer, aménager et bricoler leur énorme camion, l’équipage est prêt à partir donner vie au projet qu’ils ont en tête depuis des mois. L’histoire de Nina et Jérémy, c’est déjà celui de leur rencontre et de leurs vies qui se croisent :
Nina Caprez est une grimpeuse suisse de très haut niveau qui s’est spécialisée dans les grandes voies extrêmes en escalade, entre performance et aventure. Pour elle, le VTT, c’est presque une nouveauté. Presque, puisqu’à 16 ans, elle s’était lancé le défi de parcourir les 75km des Swiss Bike Master après avoir vu sa tranquille vallée s’animer chaque année le temps d’un week-end de VTT. Depuis, elle utilise son VTT pour découvrir la nature et les sentiers d’une nouvelle manière. Vous pouvez suivre l’actualité de Nina ici : www.instagram.com/p/CV2HFEHKVFN/.
Jérémy Bernard est un photographe d’outdoor, de ski et de VTT français, originaire de la vallée des belleville en Savoie. Il a passé 10 ans à mettre en image les meilleurs skieurs au monde, à destination de marques ou de médias. Après l’hiver, Jérémy a fait de la place à l’été dans ses clients et il a signé de superbes clichés pour des marques comme Lapierre ou Julbo. Il fait également partie des fondateurs de la plateforme/media NeufDixième qu’on aime beaucoup et qu’on vous recommande : www.neufdixieme.com/.
L’un comme l’autre ont construit leur vie en pleine nature et vivent d’une économie qu’on peut qualifier de «outdoor ». Mais en étant parfois à contretemps l’un de l’autre : l’un parti tout l’été, l’autre parti tout l’hiver, il leur fallait un projet commun. Un changement de vie qui leur permettrait d’avancer ensemble. Ce projet s’est révélé peser 6,4 tonnes et a permis d’assouvir leur envie d’aventure, d’échange et d’épanouissement professionnel comme personnel.
Avec ce projet baptisé Andrea, les valeurs affichées sont « explore, rencontre et partage ». L’exploration et la rencontre font partie du mode de vie de Nina et Jérémy et c’est sur le volet « partage » que le projet est plus ambitieux. Sans jamais s’inscrire dans une logique « humanitaire » qu’il savent bien plus lourde et profonde, Jérémy et Nina ont conçu Andrea avec un mur d’escalade amovible pour animer la vie des jeunes populations qu’ils rencontrent. C’est en s’associant avec des projets humanitaires qu’ils ont prévu quelques arrêts dans des camps de réfugiés ou auprès d’associations pour initier des enfants à l’escalade et transmettre.
Pour Nina, cette démarche est devenue une évidence quand elle s’est rendue en Palestine au cours de ses nombreux voyages : « On a fait grimper des gens qui sont en guerre le reste du temps. C’est tellement positif et ça amène tellement de bonheur… Je me suis demandé : qu’est-ce que je peux apporter à part mes sous ? Si je peux amener les valeurs de l’escalade, je crois que ça peut changer quelques chose. »
Avec un photographe de talent comme « partner in crime », la recette était toute trouvée pour agir et véhiculer un message positif.
Et le vélo dans tout ta ? Andrea est conçu comme un camp de base que Nina et Jérémy iront installer au gré de leurs voyages. Ce n’est ni un camping car, et encore moins une voiture comme une autre. L’objectif est de s’installer et de rayonner en vélo autour du spot choisi. Pour eux, la meilleure manière de se déplacer, de faire ses courses et de découvrir la nature autour d’Andrea, c’est à vélo, et on découvre deux Commencal Meta Power SX 27 à l’arrière du camion.
ANDREA
Après avoir voyagé en Volkswagen T5 avec une tente de toit, Nina et Jérémy ont rêvé à plus gros, avec un objectif : retrouver les montagnes du Moyen-Orient, d’Iran ou du Pakistan qu’ils ont déjà pu fouler en tant que photographe ou que grimpeuse.
L’objet du désir a muté et s’est finalement mué en un Mercedes Unimog U2150 de 1991 et 167000km, précédemment camion de voirie, puis d’assistance sur des rallyes. Pour sa nouvelle vie, il s’est fait une beauté, et Jérémy et Nina lui préparaient une petite place sur leur parking pour le bricoler tranquillement au soleil. Le chantier s’est toutefois révélé beaucoup plus lourd et ils ont pu compter sur ceux qui figurent désormais parmi les « amis d’Andrea ». Ils sont charpentiers, ferronniers, menuisiers, mécaniciens, artistes…
Un tel chantier, c’est une aventure en soi, et autant de satisfaction une fois fini, que de stress et de réflexion pendant les travaux.
Celui qui pourra peser jusqu’à 12 tonnes était équipé d’une grosse « boite » et d’une fenêtre qui constitue la base de l’habitat. Le toit d’Andrea a été refait puis renforcé pour accepter son chargement. La caisse a été isolée et des ouvertures supplémentaires créées pour construire l’habitation.
On retrouve une réserve de 120 litres d’eau, un frigo, un four et une cuisinière.
Toute la cabine avant a été démontée et débarrassée de sa rouille pour lui refaire une beauté. De l’isolation phonique et thermique est ajoutée et des galeries de toit sont fixées. .
À l’arrière du camion, une caisse est ajoutée et soudée au chassis. Dessus, le porte vélo est installé.
Pour la structure du mur d’escalade (et un total de 500kg à monter/démonter), des bras de 90cm de long sont installés pour fixer les panneaux qui forment une surface de 3m40 sur 3m60. Ajoutez à ça les matelas de protection, le matériel et glissez le tout derrière les pneus et dans la caisse à l’arrière du camion.
Côté énergie, il y a évidemment une grosse batterie, des panneaux solaires fixes et une batterie au lithium de 200 ampère-heure pour vivre. Ajoutez à ça un système de marque et modèle Goal Zero Yeti 3000 avec 400W de panneaux solaires pour brancher leurs outils et pour assurer le chargement des deux batteries de vélo.
Premier voyage : France – Suisse – Roumanie – Grèce
Un camion presque terminé et des rêves plein la tête, Nina et Jérémy sont partis à bord d’Andrea pour un voyage de « chauffe », en France d’abord. C’est sur un chemin étroit, de nuit et dans le brouillard vers Saint-Guilhem-le-Désert que leur direction a décidé de n’en faire qu’à sa tête, entraînant où elle le souhaitait les 7 tonnes du véhicule.
Une grosse prise de conscience plus tard, le premier véritable départ est programmé : 3 à 4 mois en Europe sur des routes carrossables en passant par la Suisse, la Roumanie puis la Grèce. Seule l’expérience pourra les mener jusqu’au Moyen-Orient.
La suite, c’est eux qui la racontent dans leurs newsletters. On y apprend que le premier véritable stop d’Andrea a eu lieu dans la vallée de Jiu en Roumanie, pour retrouver l’association Fara Limite qui initie les jeunes à l’escalade en salle et à l’extérieur. Le camp de base s’est établi dans la ville de Dalas, où des films ont pu être projetés sur le mur d’Andrea qui a vu jusqu’à 70 jeunes grimpeurs s’exercer tout au long de la journée, sous le regard de Jérémy et Nina.
En route pour la Grèce ensuite où, avec le concours de son sponsors Petzl, Nina a participé à une session d’ouverture de voies sur l’île d’Eubée.
Le 28 Octobre, le décor change : « Le camp de base roulant atteint le village de Parnitha (nord d’Athènes) dominé par la falaise d’Epos Fylis. Sur place les rejoignent les bénévoles de l’antenne grecque de Climbaid, dont Nina est la marraine suisse. Depuis 2020, l’association oeuvre auprès de réfugiés mineurs non accompagnés au travers d’un programme baptisé Pame Pano ! (Let’s go up!) centré sur une approche inclusive de l’escalade.
Aujourd’hui, l’équipe d’Andrea reçoit la visite d’une vingtaine de jeunes Afghans, Pakistanais, Ghanéens, Maliens et Syriens âgés de 15 à 17 ans, qui n’ont que quelques sessions de grimpe en salle derrière eux. Ce sera leur baptême d’escalade en extérieur. Surmotivés, Amar, Fadi, Demba et leurs amis essorent littéralement la falaise-école, enchainant les voies, sourires scotchés aux lèvres dans un festival d’encouragements mutuels. La journée achevée, leurs commentaires d’une incroyable maturité témoignent de la journée exceptionnelle qu’ils ont vécue, de ce sentiment de liberté entrevu, « de l’impact positif qu’a l’escalade sur chacun de nous » comme le souligne Nina, pour qui cette rencontre restera l’un des actes fondateurs du périple d’Andrea. »
La mission se poursuit en novembre à Corinthe en s’installant en face d’un camp de réfugiés qui accueille des milliers de personnes de toutes nationalités et de plus en plus d’afghans fuyant le régime des Talibans. Après plusieurs jours auprès de l’association italienne Vasilika Moon, une initiation à l’escalade était prévue aux abords du camp pendant 2 jours. Pour Nina et Jérémy : « La symbolique parle d’elle-même : pour quelques heures, le mur, d’ordinaire obstacle à la liberté, est devenu un pont entre tous, chacun sur un pied d’égalité pouvant s’y exprimer à sa manière. Chacun dans la peau d’un grimpeur, non plus d’un réfugié. »
Elle ressemble à ça la vie d’Andrea : alternant entre découvertes, moments légers et actions plus fortes mais tellement gratifiantes. Après plusieurs mois à bord, Nina et Jérémy se sont accordé une pause avant de repartir l’année prochaine. Le mur est toujours prêt à être déballé, et les vélos sont chargés.
Pour les suivre : https://www.instagram.com/p/CUo6a6nDgLZ/
Photos : Paul Humbert/Vojo & Jérémy Bernard.