Coupez votre cintre, vous nous remercierez !

Par Léo Kervran -

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Coupez votre cintre, vous nous remercierez !

Les cintres (trop) larges, première plaie des VTT modernes ? On exagère peut-être un peu le trait mais le message est là. Aujourd’hui, on voit beaucoup de personnes avec un guidon trop grand pour leur morphologie ou leur pratique, et si vous ne vous êtes jamais posé la question, vous en faites probablement partie.  Pourquoi raccourcir votre cintre et comment choisir la bonne longueur ? On vous explique :

Pourquoi un cintre large ?

Si aujourd’hui nous roulons toutes et tous avec des cintres entre 700 et 800 mm de large, cela n’a pas toujours été le cas. La tendance, si on peut en parler ainsi, vient du début des années 2010 et avant cela, la norme était entre 600 et 700 mm. Imaginez, des cintres 10 cm plus court !

D’une certaine façon, l’évolution de la largeur des cintres est liée à celle des géométries. Sur un vélo moderne, on a bien plus d’espace que sur une machine d’il y a 20 ans. Il est plus facile de se déplacer d’avant en arrière ou sur les côtés pour initier un mouvement, absorber un choc ou encore maintenir son équilibre, on a plus de place pour bouger. Et vis-à-vis d’un cintre étroit, un cintre large permet exactement la même chose !

L’autre point à prendre en compte, c’est qu’on roule bien plus vite en descente aujourd’hui qu’il y a 15 ou 20 ans. Cette évolution a été permise par les progrès sur les composants (suspensions et train roulant notamment) ainsi que par la direction générale prise par les fabricants, qui a donné naissance aux géométries modernes regroupées sous la maxime « long, slack and low » (un cadre long, un angle de direction couché et un boîtier de pédalier bas) mais ça ne change rien à la conséquence : en roulant plus vite, on prend plus de chocs dans les bras et on les prend plus fort.

Or, un cintre large offre plus de bras de levier sur la direction qu’un cintre étroit puisque les mains sont plus loin de l’axe de rotation, en l’occurrence le pivot de la fourche. Plus de bras de levier, cela signifie qu’il faut moins de force pour maintenir sa direction donc qu’on a plus de contrôle. D’un côté les chocs (au niveau de la roue) augmentent mais de l’autre, on réduit leur impact (au niveau des mains) et on donne plus de pouvoir au pilote. Logique !

Large… mais pas trop

Un cintre large, c’est donc bien… dans une certaine limite. Depuis la fin des années 2010, la plupart des vélos sont vendus avec des cintre de 780-800 mm en all-mountain et enduro, et 740-760 mm en XC. Une largeur que beaucoup comprennent comme la valeur idéale pensée ou voulue par le fabricant, alors qu’il s’agit surtout d’une valeur volontairement trop large pour donner la possibilité de recouper facilement…

« En VTT, on coupe les cintres huit fois sur dix, c’est une bataille qu’on a tous les jours. Les gens sous-estiment ce que ça apporte en capacité de mouvement  » nous explique Antoine Rudeau de Retül, la société spécialiste de l’analyse posturale rachetée par Specialized en 2012 et que nous avons contactée pour vérifier nos idées en préparant cet article. « C’est une case obligatoire dans l’étude posturale, peu importe la discipline », continue-t-il.

"En VTT, on coupe les cintres huit fois sur dix"
Antoine Rudeau, Retül

Couper, oui mais pourquoi ? Antoine détaille : « Avec un cintre trop large, les douleurs aux poignets sont plus fréquentes et on a les trapèzes tendus, c’est particulièrement sensible en montée et sur les longues sorties. On sollicite aussi plus les stabilisateurs de l’épaule, ce qui les fatigue plus et pourrait les rendre moins efficaces dans leur rôle de protection et de stabilisation de l’articulation. »

Avec un cintre trop large, on perd aussi en débattement. En effet, les bras sont (avec les jambes) les premières et les meilleures suspensions qu’on ait sur un vélo : on a entre 30 et 50 cm d’amplitude à disposition suivant notre taille, soit deux à trois fois plus ce que propose une fourche.

Faites-en l’expérience vous-même : mettez vous debout face à un mur, bras tendus droit devant et mains contre le mur. Maintenant, écartez un peu vos mains, puis un peu plus, et encore un peu plus… Vous allez vous rapprocher du mur au fur et à mesure et si vous pliez les bras, votre buste sera bien plus vite en contact avec le mur que lorsque vous aviez les bras droit devant vous.

Un cintre (trop) large, c'est aussi plus encombrant sur les sentiers : attention les doigts !

Enfin, et c’est particulièrement important dans certaines régions, un cintre large signifie qu’on prend plus de place sur le chemin : attention les doigts si les arbres ou les buissons sont proches ! Plus large, c’est plus de contrôle comme on l’expliquait plus haut mais moins d’amplitude. Il faut donc trouver l’équilibre.

Quelques exemples

Vous n’avez certainement pas la bonne largeur de cintre, d’accord. Mais dans ce cas, comment savoir ce qui vous conviendrait le mieux ? Comment choisir sans faire d’erreur potentiellement coûteuse ?

Avant toute chose, Antoine nous indique qu’il « n’est pas fan des outils de calcul qui se basent sur la largeur d’épaule ou la taille. La bonne largeur est trop dépendante des personnes, de leur force… Ce qui est important, c’est le type et le lieu de pratique ».

XC, trail ou enduro, pentu ou plat, bikepark large et rapide ou tracé sinueux entre des arbres : de la même façon qu’il n’y pas une pratique du VTT, il n’y a pas une largeur de cintre universelle. Chaque discipline, chaque approche a son lot de contraintes et requiert des choix différents.

Ainsi, sur un vélo très vif de XC, on va chercher à avoir une direction plutôt vive elle aussi (donc un cintre pas trop large), par souci de cohérence. De plus, un cintre étroit permet de baisser les coudes et donc le buste plus facilement pour gérer l’adhérence dans les montées raides. A l’inverse, un vélo d’enduro est plus posé et aura plus de sens avec un cintre relativement large, qui donnera une direction plus calme. De même, un cintre large doit être associé à une potence courte si on ne veut pas perdre trop en plage de mouvement.

Antoine explique que chez Retül, les valeurs retenues sont généralement « entre 700 et 720 mm pour du XC et 740 à 760 mm pour du trail. En enduro on peut aller jusqu’à 780 mm pour des gros gabarits mais 800 mm, quasiment jamais. »

Pour vous donner un ordre d’idée, on a fait un petit tour au sein de l’équipe Vojo et voici ce qu’il en est sorti :

  • Thomas roule avec du 800 mm du trail à l’enduro et c’est le plus gros gabarit de l’équipe (1m87 et large d’épaules)
  • sur le même spectre de pratique, Paul est sur 775 mm pour 1m83
  • Adrien est en 740 mm en XC et 760 mm en enduro pour 1m78
  • de la même taille, Olivier a récemment réduit : « A la base j’aime rouler vraiment large avec les coudes assez sortis. Cela dit, alors que j’aimais bien du 800 en enduro et 760 en XC, je suis redescendu vers 780 en enduro et 740/750 en XC et je m’en réjouis. »
  • Christophe (1m76) et Marie-Eve (1m65) ont suivi le même chemin et roulent tous les deux avec 760 mm en enduro après avoir longtemps roulé en 770 mm voire 780 mm. Christophe nous indique au passage qu’il avait « un vrai problème avec le dégagement [pour se faufiler entre les arbres, sur les sentiers étroits…] et ça a changé ma vie de raccourcir ».
  • Esteban est lui aussi sur 760 mm en enduro, pour 1m74 mais des épaules plus larges que Christophe. En revanche, il descend à 720 mm en XC.
  • Julie est à 710 mm en XC, c’est le plus petit cintre mais aussi le plus petit gabarit de notre sondage (1m64).
  • enfin, en ce qui me (Léo) concerne, je roule avec du 730 mm en XC et 760 mm en enduro. Je mesure 1m79 et j’ai des épaules plutôt étroites.

Vous pouvez le constater, nous sommes presque tous loin des largeurs d’origine des cintres neufs. Ceci dit, ne prenez pas notre exemple pour vérité absolue ou pour un tableau de recommandations. Comme Antoine le disait, le choix doit être individuel, en tenant compte des spécificités de votre corps et de votre pratique. De la même façon, imiter les pilotes pros n’est pas la meilleure idée qui soit dans ce domaine : ils et elles roulent plus vite que nous et sont pour la plupart plus musclés du haut du corps.

Pour trouver la « bonne » largeur, Antoine nous conseille une astuce toute simple : « Un test de push-up, tu fais une pompe sur le vélo à différentes largeurs pour sentir où tu as de la force. Quand tu rapproches trop tes mains, tu sens que tu perds. On teste un extrême, puis l’autre, puis on ressert et la plupart du temps on finit par hésiter sur 10 mm. Dans ce cas on part sur le plus large, car c’est toujours possible de recouper après. Le choix final c’est un processus qui ne se fait pas en une fois, il faut rouler et étaler sur plusieurs sorties. »

A ce sujet, rouler avec les poignées rentrées vers l’intérieur pour tester un peu plus étroit, c’est faisable ? Oui, mais attention : « Avec 5 mm de chaque côté ce n’est pas trop gênant mais tu imagines bien qu’avec 30 mm c’est plus dangereux et à ne pas faire. »

On rajoutera aussi que dans l’idéal, plus un cintre est large, plus il faut du backsweep (angle vers l’arrière) si on veut garder du confort et une position naturelle des mains. C’est quelque chose qu’on peut constater facilement chez soi : prenez deux bâtons droits ou deux stylos, un dans chaque poing comme si vous teniez le cintre et écartez progressivement les bras. Vous verrez que dès que vos mains ne sont plus droit devant vous, les stylos ne sont plus parallèles et se croisent avec un certain angle, qui augmente avec l’écartement des bras. C’est ce qui correspond au backsweep du cintre.

Plus un cintre est large, plus il faut du backsweep.

Si vous êtes sensible à cela, sachez que certaines marques proposent des cintres avec un backsweep plus important que la moyenne (on pense notamment à SQlab, qui a du 12° et du 16° dans son catalogue) et d’autres des poignées montées sur excentrique, qui permettent d’ajouter un peu d’angle sans toucher au cintre (chez Production Privée par exemple).

Mais au fait, raccourcir ça ne risque pas de jouer sur le confort et l’absorption des impacts ? Un cintre plus large, c’est plus de distance pour dissiper l’énergie des chocs. « Les vibrations ça tient surtout au matériau. Pour les impacts, la largeur joue en effet mais c’est vraiment infime comparé au reste et surtout, c’est pas vraiment ça qui fait mal », rassure Antoine. C’est donc un faux problème et vous pouvez raccourcir sans craintes !

Conclusion

Coupez ! Trouver la bonne largeur peut prendre un peu de temps et c’est un processus qui demande plusieurs essais, parfois des erreurs mais il y a fort à parier que beaucoup parmi vous roulent avec un cintre trop large. Il n’y a que du positif à le raccourcir de quelques millimètres et c’est pourquoi on vous recommande chaudement de réfléchir à la question. La largeur idéale et universelle n’existe pas, c’est un choix individuel qui dépend de nombreux facteurs (musculature, pratique, terrain, taille du vélo, géométrie, longueur de potence…) mais retenez que si les marques montent des cintres très larges sur les vélos neufs, c’est pour qu’ils soient recoupés et non laissés comme tels !

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ParLéo Kervran