Découverte | La TransVésubienne en duo : un voyage en enfer, ça se partage !
Par Adrien Protano -
Si l’expérience d’une TransVésubienne est déjà magique dans la vie d’un vététiste, la partager avec un ami de longue date ne peut alors qu’être un merveilleux souvenir. Partant de ce postulat, Théo et Gabriel se sont inscrits à ce qui peut être qualifié d’un des plus durs marathons de France en duo ! Matériel, préparation physique et épreuve mythique, ils nous racontent leur aventure :
Rappel historique
La TransV est simplement l’une des plus vieilles épreuves VTT du territoire français, et sa difficulté est à la hauteur de sa réputation. Le parcours, qui démarre du Col de la Colmiane pour se jeter directement dans l’océan à Nice, emprunte les sentiers de randonnée historiques. Cette connexion de l’épreuve aux racines de la région lui confère encore aujourd’hui un charme particulier, que l’on ne retrouve pas sur des épreuves de masse, plus aseptisées.
Ranger la TransV dans une case est difficile tellement l’épreuve est atypique : longue comme un marathon et technique comme un enduro, voilà du vrai all-mountain ! Et les chiffres ne sont pas en reste avec un parcours de plus de 80km, pour environ 2800m de dénivelé positif et 4100m de négatif.
Ce qui est marquant sur cette course chaque année, c’est qu’on retrouve sur la même ligne de départ des crosseurs aux jambes rasées et des enduristes bien poilus, sans qu’il soit possible de savoir lequel des deux franchira la ligne d’arrivée en premier.
Notre duo de choc
Notre rencontre avec Gabriel remonte à une dizaine d’années au sein du club R-VTT en Haute-Savoie, lorsque nous étions de purs crosseurs écumant ensemble les courses régionales et nationales.
Aujourd’hui, Gaby s’est éloigné de la compétition et trouve son plaisir en passant d’un sport à l’autre pour arpenter les montagnes en associant le ski, l’alpinisme, l’escalade, le trail, le bikepacking et bien évidemment le VTT.
Pour ma part, j’ai gardé contact avec la course et je m’entraine principalement à vélo. J’avais déjà participé 4 fois à la TransV avant cette édition 2022, et ce que je considère comme l’une de mes plus belles performances en compétition s’est d’ailleurs faite sur cette course en 2019, lorsque j’ai pris la 6ème place au scratch.
C’est surtout la notion de partage qui nous a tous les deux séduits, davantage que la performance pure.
Gabriel, quant à lui, n’avait encore jamais pris le départ de cette épreuve mythique et, lorsqu’il m’a partagé son idée de s’inscrire à la TransV en catégorie duo, j’ai directement saisi l’occasion de partager mon expérience et un week-end inoubliable à ses côtés. Si cette participation en équipe apportait quelque chose de nouveau qui me motivait beaucoup, c’est surtout la notion de partage qui nous a tous les deux séduits, davantage que la performance pure.
L’idée n’était pas simplement de prendre le départ à deux, mais plutôt de profiter de cette occasion pour échanger sur la préparation physique, les choix matériels, la stratégie de course et partager des week-ends de préparation ensemble.
La préparation
En ce début de préparation pour la TransV, une certitude demeurait : courir en duo ne serait pas une mince affaire, et s’apparentait plus à une difficulté supplémentaire qu’à un atout. S’il est vrai qu’être à deux permet de se soutenir mutuellement, c’est aussi le meilleur moyen de cumuler les défaillances telles que les avaries mécaniques ou les coups de moins bien. Nous avons donc travaillé de sorte à cibler nos différences et les apprivoiser pour être le plus homogène possible dans l’effort.
Dans un premier temps, c’est à distance que nous avons mis en place un plan d’entrainement personnel et adapté à nos profils. De par mes anciennes participations, j’ai aiguillé Gabriel sur une préparation « spécifique TransV », principalement axée sur l’endurance, le travail de la force et des efforts au seuil. Là où cette expérience était particulièrement enrichissante, c’est au niveau du partage de nos points de vue sur l’entraînement ainsi que sa mise en application concrète.
Nos profils étant sensiblement différents, une certaine incertitude demeurait tout de même quant à notre capacité à rouler ensemble efficacement. Nous avons ainsi rapidement planifié des week-ends d’entraînement communs qui nous permettraient de tester et valider (ou non) nos choix matériels et notre stratégie de course.
Le premier d’entre eux a eu lieu à Bouleternère, près de Perpignan, chez Gabriel. Au programme : 3 jours de ride notamment composés d’une longue et belle sortie à profil descendant le samedi ainsi que d’une simulation course le dimanche avec un parcours se rapprochant des caractéristiques de la Transvésubienne.
Si ce premier week-end a permis de valider les choix matériels apportés au vélo de Gabriel, nous avons dû aussi constater une difficulté à rouler ensemble lors des ascensions, tant en raison de notre écart de rythme que de l’écart de rendement entre nos vélos. Quoiqu’il en soit, le premier week-end d’octobre était encore loin et il nous restait du temps pour ajuster notre préparation.
Le second et dernier week-end d’entraînement commun s’est déroulé à Annecy, avec un programme relativement similaire au premier. Et cette fois, il n’a pas fallu longtemps avant de confirmer que les séances d’entraînement et les axes de progression identifiés avaient payé. Gabriel avait retrouvé un bien meilleur coup de pédale, ainsi qu’une meilleure puissance.
Cette première impression sera confirmée lors de la simulation de course du dimanche : notre écart en montée était beaucoup moins significatif, et en descente nous étions clairement dans le même rythme. C’est donc enjoués de satisfaction et remplis de confiance que nous clôturons notre dernier week-end d’entraînement commun. La fin préparation n’a plus que pour but de nous amener vers un pic de forme le week-end de la course, ce qui devrait encore contribuer à réduire notre écart.
Le matériel approprié
S’il y a bien une course où le matériel à de l’importance, c’est sur la TransV ! Il faut que le vélo soit adapté à ce format atypique, et particulièrement fiable. Toute la réflexion était donc de rendre nos vélos les plus compétitifs possible, et quelques changements se sont donc imposés :
Pour ma part, c’est mon Orbea Oiz TR 2022 qui subira quelques modifications afin d’être “TransV ready” ! Les roues d’origine seront remplacées par des Duke Lucky Jack HD en carbone, montées de Michelin Force AM avant/arrière avec une section de 2.35 devant et 2.25 derrière. Terrain rocailleux oblige, une mousse Effeto Mariposa (pesant à peine 80g) a été exceptionnellement ajoutée dans chaque roue. Afin de gagner en sensibilité sur les petits chocs, les buselures d’origine de l’amortisseur (de simples bagues lisses) ont été remplacées par des roulements à aiguilles. Côté transmission, mon plateau de 34 a été troqué pour un 32 dents, associé à une cassette Shimano en 10-51. Pour terminer, des pédales d’enduro (Time Spéciale 12) sont venues remplacer les pédales de XC habituelles en composite.
On ne change pas de crèmerie du côté de Gaby qui roule également sur un Orbea. Mais c’est un Occam de 2018 que l’on retrouve entre ses mains, admettant que cela ne correspond pas forcément à la machine la plus adaptée lorsqu’on raisonne performance sur la TransV. Gaby possède toutefois quelques convictions fortes quant à l’impact qu’il laisse sur l’environnement et accorde de l’importance à limiter sa consommation, même quand il s’agit de vélo ! Pas question donc d’acquérir une nouvelle arme pour l’occasion, c’est à l’Occam de devenir plus compétitif.
Après une révision complète du vélo, c’est le poste de pilotage qui a été modifié de sorte à avoir une position plus propice au pédalage. Si les DT Swiss Spline 1900 constituaient un point faible de ce montage, d’autant plus après avoir subi les affres du temps, il n’était pas dans la philosophie de Gabriel de les changer : un simple passage à des pneumatiques plus roulants (Maxxis Ardent EXO en 27,5 x 2.4) associés à une paire de mousses de protection a suffi à améliorer le pédalage de cet all-mountain.
Dans mon sac à dos, il y a…
Si la TransV est éprouvante pour les pilotes, elle l’est aussi pour le matériel ! La probabilité d’un problème mécanique est élevée, et il est nécessaire de se préparer à toutes les éventualités. La mission est dès lors de trouver le bon compromis entre probabilité de panne/poids/encombrement afin d’obtenir un sac à dos idéal.
La caillasse caractéristique du Sud est responsable de la plus grande menace : la crevaison
Rien de bien original côté outillage : un multi tool complété d’un dérive-chaîne, de démonte-pneus, d’une pompe, de 4 cartouches de CO2 et d’un percuteur associé. Pour la transmission, très exposée sur ce parcours accidenté, nous avions chacun une patte de dérailleur, un câble de dérailleur et une paire de maillons rapides.
La caillasse caractéristique du Sud est responsable de la plus grande menace : la crevaison, et c’est pourquoi nous avions chacun au bout de notre guidon un kit de mèches tubeless Sahmurai Sword ainsi qu’une réserve de mèches dans le sac à dos. Nous avions également prévu « au cas où » chacun une chambre à air, ainsi que des rustines autocollantes et des patches de caoutchouc en cas de déchirure du pneu.
Le prologue :
Le marathon du dimanche est précédé la veille par le prologue, à savoir une boucle de 7km et de 250m de D+/500m de D-. Si la participation à ce prologue est facultative, elle permet néanmoins d’obtenir un bonus de 10 minutes sur l’épreuve du lendemain.
Le tracé a dû être réinventé pour cette édition 2022 suite aux dégâts causés par la tempête Alex en octobre 2020 : fini de descendre en direction de Saint-Martin de Vésubie. Désormais, le parcours s’élance du Pic de la Colmiane et descend sur le village de Saint-Dalmas par un petit single rouvert pour l’occasion, avant de finalement remonter jusqu’au Col de La Colmiane. Voilà qui s’annonce un peu plus costaud !
Les départs sont donnés par vague de 5 par ordre inverse des numéros, par conséquent Gaby et moi ne partons pas en même temps. C’est Gab’ qui s’élance en premier et qui, au terme d’une bonne course prend le meilleur temps provisoire en 24 minutes et 45 secondes.
Je m’élance presque une heure après, et au terme d’une descente à 100, voire 110% de mes capacités, suivie d’une remontée pénible avec un cardio au plafond, je viens prendre un temps de… 24min et 43 secondes, soit 2s et une place devant Gab ! Rassurés par notre homogénéité, nous sommes confiants pour le lendemain, d’autant plus que notre préparation est axée sur l’effort long du dimanche.
La mythique TransVésubienne :
Après une courte nuit et un bon petit déjeuner, place à l’échauffement dans la nuit encore noire. Il fait bon et grand beau, ce qui d’emblée nous met dans de bonnes dispositions psychologiques pour aborder cette journée : tout est réuni pour qu’on se fasse plaisir !
Une fois sur la ligne de départ, on peut apercevoir quelques têtes d’affiche telles que Stéphane Tempier, venu arborer son maillot de champion de France Marathon.
7h20 : un coup de feu et nous voilà partis. Nous prenons de suite un rythme conforme à la stratégie de course établie avec Gabriel. Le plan est de rouler à l’économie sur la première partie de parcours, identifiée comme la plus difficile, afin d’assurer le coup physiquement quitte à accélérer dans la deuxième moitié de course.
Arrivés en haut de la première bosse, nous pointons 31ème et 32ème. Nous ne nous affolons pas pour autant et restons comme prévu en gestion. Nous profitons du lever de soleil exceptionnel sur les sommets, l’atmosphère est vraiment grandiose.
Après un peu plus d’1h40 de course, nous arrivons au mythique Brec d’Utelle et, dans le portage, Gab’ me fait savoir qu’il n’est pas au mieux. Surprenant, compte tenu de notre rythme qui n’est pas excessif et de la faible durée écoulée. Je tente de le rassurer en lui disant que sur du long les sensations peuvent revenir, mais nous savons tous les deux que ce n’est pas bon signe.
C’est pour ce genre de moments qu’on aime faire du VTT, et les partager avec le même dossard sur le dos permet de les décupler !
Au passage au sommet du Brec d’Utelle, le spectacle n’en reste pas moins incroyable. C’est aussi pour le cadre unique que nous offre la TransV’ que nous sommes ici. Même si les sensations physiques ne sont pas celles espérées, on ouvre grand les yeux et on sourit ! C’est pour ce genre de moments qu’on aime faire du VTT, et les partager avec le même dossard sur le dos permet de les décupler !
La descente sur Utelle tient toutes ses promesses. Malgré son exigence, le grip est parfait et nous gardons un bon rythme tout du long. Nous profitons de nos bonnes sensations pour nous faire plaisir et reprendre quelques précieuses places.
Dans les derniers virages avant Utelle, Gabriel qui ouvre devant tente une trajectoire qui coupe la dernière épingle. Mais ce qu’il ne voit pas au moment où il s’engage, c’est qu’il y a 3 grosses marches successives. La première passe de justesse, mais à partir de la deuxième il perd l’équilibre et vient s’écraser sur le chemin en dessous. La chute est impressionnante, mais heureusement, plus de peur que de mal.
Aux portes du top 20 au moment de la chute, nous repartons en 28ème position, le temps de reprendre nos esprits. La chute a été traumatisante avec quelques contusions musculaires. Cela n’arrange pas l’état de forme de mon comparse, qui commence à avoir des difficultés à s’alimenter et souffre de nausées.
Concrètement, le reste de la course sera une lente descente aux enfers pour Gabriel avec un état se dégradant progressivement au fil des kilomètres. La difficulté à s’alimenter l’empêche d’avoir l’apport énergétique nécessaire pour ce type d’effort.
J’assiste, impuissant, à cette souffrance qui ne reflète pas toute la préparation faite en amont. Mais Gab s’accroche au mental pour en finir avec ce calvaire. La baie des anges nous fait de l’œil et plusieurs fois nous apercevons Nice depuis les hauteurs. Si proche et si loin à la fois…
Dans la dernière montée qui nous mène au Mont Chauve, j’aide Gaby, à bout de force, en le poussant comme je peux. Ceux qui connaissent la TransV savent à quel point la dernière descente est usante. C’est loin d’être la plus engagée mais elle donne l’impression de buter dans chaque cailloux.
Une fois en bas, il faut encore se farcir la Paillon pour traverser Nice. Il s’agit d’un lit de rivière de plus de 4km avec le peu de rendement qu’on peut imaginer quand on roule sur un revêtement composé exclusivement de sable et de galets.
L’arrêt du chronométrage est matérialisé au bout du Paillon, à l’entrée du tunnel censé nous amener sur la plage de la promenade des Anglais, neutralisée à cause de la quantité d’eau à l’intérieur. La ligne d’arrivée franchie, Gaby s’effondre dans un mélange d’épuisement, de soulagement et de déception, après 7h40 d’effort.
Nous savions que ce serait une rude journée de vélo, mais nous avons vécu ce que nous redoutions le plus : la chute et la défaillance physique. En guise de lot de consolation, nous ramenons quand même la breloque de bronze au classement duo.
Les planètes n’étaient simplement pas alignées pour cette première TransV Duo…
En dehors du résultat qui nous importait peu, nous avons été déçus de ne pas pouvoir apprécier le parcours à sa juste valeur, malgré une préparation rigoureuse. Aucun paramètre n’a été négligé dans l’approche et le jour J, c’était forcément difficile d’admettre que ça ne se passe pas comme prévu. Il est difficile de trouver une explication à la défaillance physique de Gabriel : les planètes n’étaient simplement pas alignées pour cette première TransV Duo. S’il y a bien une épreuve où il faut tout aligner pour performer, c’est celle-ci. La TransV est une épreuve exigeante et impitoyable, et c’est bien ce qui fait son charme !
Le chemin partagé qui nous a amenés jusqu’ici aura été une vraie réussite, alors qu’importe le résultat final. Nous n’avons pas obtenu la cerise sur le gâteau, mais qui sait, peut-être que nous reviendrons pour la croquer à pleine dent !
Plus d’informations sur la Transriviera et la Transvésubienne : www.ucc-sportevent.com
La date pour la prochaine Transvésubienne sera annoncée d’ici quelques mois.