Carte blanche | Extension de la période de chasse : une bonne idée, vraiment ?
Par Olivier Béart -
Habitants et/ou pratiquants réguliers du VTT dans la région, les membres de l’équipe Vojo ont été particulièrement interpellés par le projet d’élargissement de la période de chasse du sanglier et du chevreuil en Haute-Savoie. Comme une consultation publique a été organisée, nous n’avons pas manqué d’y réagir. Voici le texte qu’un de nos correspondants a écrit en réaction. Nous le publions car nous pensons que cette prise de position mérite d’être diffusée, et nous vous incitons également à réagir d’ici au 29 avril.
Et la réaction de notre correspondant :
Madame, Monsieur,
Vous lancez une consultation publique sur le sujet « Tir d’été du sanglier et du chevreuil du 1er juin au 7 septembre 2019« .
Je suis un citoyen de la région Rhône-Alpes-Auvergne, je partage mon temps entre le Rhône et les Alpes. Je vous transmets ici mon avis. C’est un grand NON.
Vous évoquez un « but éducatif et pédagogique » pour autoriser la chasse du chevreuil en été.
Vous évoquez les éventuels « dégâts importants dans les exploitations agricoles » pour autoriser la chasse du sanglier en été.
Ces chasses d’été sont également appelées « tirs anticipés« .
Par extension, la note de présentation nous rappelle qu’un chasseur autorisé à tuer le sanglier ou le chevreuil peut aussi tuer le renard.
Ces projets d’arrêtés sont déjà précisément rédigés, tout est en place sur le papier pour que ces tirs anticipés aient bien lieu en pleine période estivale. Soit.
Vous lancez tout de même une consultation publique. J’aurais alors aimé, concernant la problématique des dégâts agricoles, obtenir de votre part une analyse rigoureuse et objective des risques à venir sur cette période. Mais manifestement, ces données ou analyses statistiques n’existent pas.
Les agents de l’Etat ne sont-ils pas les mieux qualifiés pour intervenir, en sécurité, lors de dégâts ponctuels et localisés ? Je rappelle l’exemple du canton de Genève en Suisse, qui maintient aujourd’hui un équilibre formidable sans chasses privées sur son périmètre, dans une zone pourtant délicate, à forts enjeux.
Autoriser ces tirs d’été est une décision incroyablement rétrograde. En particulier en Haute-Savoie.
Autoriser ces tirs d’été est une décision incroyablement rétrograde. En particulier en Haute-Savoie.
Dois-je vraiment rappeler ici les drames très récents qui ont mis en évidence des manquements graves à la sécurité de la part des chasseurs ?
Aurions-nous la mémoire si courte que nous oublierions déjà Mark Sutton, VTTiste tué le 13 octobre 2018 à Montriond ? Ou Gaël Lavy, traileur tué le 5 décembre 2015 dans le massif du Semnoz ? Le chasseur auteur de ce dernier homicide vient à peine d’être condamné par la justice que vos services décideraient, sans argument solide, de prolonger la période de chasse, dans un pays, la France, qui est déjà le pays le plus permissif d’Europe ? Ne peut-on pas laisser le temps aux blessures de se refermer un peu au lieu de prendre des mesures qui les raviveront ?
En 2018-2019, une nouvelle fois, les accidents de chasse sur la période d’ouverture générale se sont comptés par centaines. En plus de la mort de Mark Sutton, 7 non-chasseurs ont été blessés en France, parfois grièvement avec des séquelles à vie. Mais ne laissons pas l’émotion dominer le débat. Vous avez bien évidemment tout ceci en tête.
La Haute-Savoie, qui bénéficie de plusieurs jours de non-chasse dans la semaine et d’une fermeture dès le 15 janvier (c’est assez rare au niveau national pour le souligner) a réussi à mettre en place des mesures restrictives, par exemple autour d’Annecy et le dimanche après 11h, pour améliorer la sécurité des usagers de la nature non-chasseurs. Il s’agissait d’un premier pas en avant positif, bien que très insuffisant. Il s’agissait aussi et surtout d’un aveu : pour améliorer la sécurité, il faut réduire les interactions possibles entre chasseurs et non-chasseurs.
La mise en place des tirs anticipés en été est en revanche en totale contradiction avec ces progrès. Elle ne signe qu’un retour en arrière, une destruction de fragiles acquis. Et un message fort, négatif, à l’encontre des millions de Français choqués par les dérives de la chasse contemporaine en France.
La montagne fait face à de nombreux défis aujourd’hui, tant écologiques qu’économiques. Le ski en station est voué à péricliter, et ce n’est pas en continuant à injecter du béton sur les domaines que la situation changera, au contraire. Les activités estivales sont, en revanche, prêtes à apporter un nouveau souffle à la vie locale et au rayonnement touristique international des Alpes.
Les sports d’extérieur sont de plus en plus prisés : running, trail, randonnée, VTT, parapente, escalade, via ferrata, alpinisme… Les activités de nature engagent aujourd’hui des millions de personnes, dont des familles : balades, découverte de la faune et de la flore, photographie et observation des espèces sauvages, engagement associatif pour la préservation des milieux… Et développement de l’alimentation végétale, pour des questions éthiques, sanitaires et surtout environnementales. Est-ce que la mort d’un chevreuil, provoquée arbitrairement, pour l’exemple, a vraiment une vertu pédagogique en 2019 ? Est-ce la mort, le sang, que l’on veut élever au rang des traditions inébranlables à transmettre aux jeunes générations ?
Nous vivons une période charnière, où le retour à la nature, au respect de l’environnement et du vivant, devient une priorité pour beaucoup de Français. Le tourisme de proximité redevient une réalité, en même temps que des touristes du monde entier continuent de venir arpenter avec passion les sentiers alpins en été.
La chasse bénéficie déjà de périodes d’ouvertures très larges. La priorité n’est pas d’agrandir encore ces périodes, mais de continuer à œuvrer pour qu’elles se déroulent mieux.
Votre rôle est de prendre en compte l’intérêt commun, de préserver le territoire et ses habitants, d’améliorer l’attractivité de ce territoire. Pas de céder à des projets dangereux, insensés, non documentés et inutiles, qui ne bénéficient qu’à un lobby minoritaire qui ne sait plus quoi faire pour pérenniser ses privilèges d’un autre temps.
Je ne m’étends pas sur la protection des animaux et l’impact écologique très négatif d’une chasse privée livrée à elle-même en France, toujours autorisée à laisser ses déchets de plomb dans la nature, à mener des pratiques cruelles et à viser des espèces fragiles et sur le point de disparaître. C’est une exception française de plus, mais celle-ci n’est pas source de fierté.
Votre rôle est de prendre en compte l’intérêt commun, de préserver le territoire et ses habitants, d’améliorer l’attractivité de ce territoire. Pas de céder à des projets dangereux, insensés, non documentés et inutiles, qui ne bénéficient qu’à un lobby minoritaire qui ne sait plus quoi faire pour pérenniser ses privilèges d’un autre temps.
Comme représentants de l’Etat, vous représentez avant tout un peuple tout entier, et la chasse en été n’est pas compatible avec l’intérêt premier de ce peuple en 2019. Soyez dignes de vos fonctions et vous en serez largement récompensés. Le bon sens l’emporte toujours.
Merci de votre attention. Je reste à votre disposition pour éclaircir ma position ou échanger avec vous sur le sujet.
Pour remettre, vous aussi, un avis dans le cadre de cette consultation publique (avant le 29 avril) : http://www.haute-savoie.gouv.fr/Politiques-publiques/Environnement-risques-naturels-et-technologiques/Droit-a-l-information-sur-l-environnement/Consultations-2019/Consultation-publique-Tir-d-ete-du-sanglier-et-du-chevreuil-du-1er-juin-au-7-septembre-2019
Photo : DR/MBF