Test – YT Industries Capra : l’enduro punk
Par Olivier Béart -
Young Talent Industries est une marque allemande assez jeune, mais qui fait beaucoup parler d’elle sur la scène enduro/DH. Nous avons testé leur nouvel enduro 160mm, le Capra. Un vélo attachant, atypique et « no limits ».
Si le nom et la com’ autour de cette belle nouveauté font référence à une douce petite chèvre, la machine fait plutôt dans le genre brutal: 160/165mm de débattement avt/arr, 65,5° d’angle devant et 75° pour le tube de selle, 13kg sur la balance et un prix de 3499€ (!) pour la version que vous avez sous les yeux. Qui n’est pas le premier modèle, mais l’intermédiaire dans une gamme équipée du même cadre, qui va de 3299€ (Capra Comp2 en double plateau) à 3999€ (Capra Pro avec suspensions BOS et roues CrossMax Enduro). Autant dire que la marque jette un fameux coup de pied dans la fourmilière, grâce non seulement à un mode de distribution directe par correspondance, façon Canyon, mais aussi à une équipe d’ingénieurs qui n’a pas froid aux yeux quand elle conçoit un vélo ! D’autant que, côté image, look et finition, jamais on n’a l’impression de rouler sur un vélo bon marché. Le cadre du Capra est développé autour d’une suspension maison dénommée V4L, pour Virtual Four Link. Il s’agit, comme vous l’aurez compris, d’un dérivé du célèbre four bar linkage, avec le non moins fameux pivot Horstlink situé sur les bases, près de l’axe de roue arrière (142x12mm). Les particularités de sa mise en oeuvre par YT sont notamment un triangle arrière très compact pour la rigidité, une biellette en alu assez massive placée sous l’amortisseur, qui est un RockShox Monarch Plus RC3 HV très long (222mm d’entraxe) de sorte à diminuer le ratio débattement de la roue arrière/course de l’amortisseur. Le résultat est une suspension très peu sensible au pédalage et qui, malgré un SAG généreux (autour de 30% dans notre cas), ne donne aucune impression d’affaissement dans les portions montantes ou plus plates. La progressivité est aussi une des ses caractéristiques, afin d’être capable d’encaisser sans broncher de gros chocs et de suivre dans les passages très défoncés pour lesquels l’engin est conçu. A noter que tout le cadre est en carbone, sauf les bases en alu, et est annoncé à seulement 2,4kg sans amortisseur. A l’avant, plus besoin de présenter la Pike. Elle est le benchmark actuel en enduro et son comportement magique trouve ici une suspension arrière parfaitement raccord. Comme l’amortisseur, elle est réglable sur 3 positions, depuis le mode complètement ouvert, jusqu’à un lock-out, en passant par un mode plateforme pour les portions mixtes. On remarque aussi la douille de direction « Head Box Design » aux formes complexes, qui assure une connexion optimale avec les tubes diagonal et supérieur pour une rigidité maximale et un poids minimal. Autre fait marquant, on l’a rapidement évoqué plus haut: l’angle de direction de 65,5°, ce qui est franchement couché et qui montre les ambitions du vélo, clairement orienté vers le gros enduro. Le train roulant nous a laissés un peu plus perplexes, surtout vu les ambitions de la machine. Les roues E13 TRS+, en 27,5 » évidemment, ont certes un look sympa, avec leurs moyeux surdimensionnés et leurs jantes larges, mais les 28 rayons et l’assemblage ne donnent pas un résultat à la hauteur du vélo. A moins de 1700g, elles devraient aussi donner un excellent rendement mais, hélas, leur dynamisme est annihilé par les pneus Continental Trail King qui semblent manger toute l’énergie sur les portions roulantes. Le hic, c’est qu’ils n’offrent même pas un grip digne de ce nom en-dehors des terrains parfaitement secs (on en reparlera plus loin). Bref, on se retrouve avec un ensemble peu cohérent. Dommage. Mais à 3499€ (soit 200€ de moins que le Canyon Strive le plus abordable, pour vous donner un point de repère), il reste de la marge pour améliorer ce point. Le reste des composants est heureusement sans reproche. Sram se taille la part du lion, avec une transmission XO1 et des freins Avid Elixir 7 Trail, dont les étriers 4 pistons délivrent une puissance démoniaque mais qui reste dosable, même en combinaison avec des disques de 200mm (les disques Shimano de la photo ne sont pas d’origine, tout comme la selle SLR et les poignées – NDLR). L’indispensable tige de selle téléscopique est bien au rendez-vous, avec l’excellente Reverb, ici en 150mm de débattement, bien adapté à ce genre de machine. Race Face est également bien présent, avec le pédalier Turbine en PressFit30 et un poste de pilotage Atlas dans le nouveau standard de 35mm de diamètre qui, une fois encore, marque les ambitions du Capra. Il est temps d’enfiler les protections et le casque intégral pour aller mettre tout cela à l’épreuve du terrain ! Quand on regarde l’amortisseur du Capra, avec ses graduations de SAG qui vont jusqu’à 40% de la très longue course du piston, on comprend vraiment qu’on est face à un « gros vélo ». Pourtant, quand on se pose sur la selle, on n’a pas du tout l’impression que l’arrière s’enfonce. On peut donc se permettre d’aller jusque presque 30% de SAG en gardant une position, certes sur l’arrière, mais parfaitement équilibrée sans devoir abuser de l’usage du levier de blocage. A l’avant, le réglage de la Pike est des plus facile au niveau des pressions (celles recommandées sont parfaites) et c’est plutôt au niveau des réglages de compression et du rebond qu’on passe un peu de temps. Mais là aussi, l’optimum est assez facile à trouver. No rules… Great bike ! La géométrie très atypique du Capra influence positivement les sensations. L’angle de selle particulièrement redressé n’est certainement pas étranger au fait qu’on garde une position agréable pour les montées et les parties roulantes, sans enfoncement excessif de l’arrière, ce qui est rare pour un vélo de cette trempe et qui fonctionne avec un SAG aussi généreux. A l’avant aussi, on sent qu’il y a beaucoup d’angle (65,5°). Et, sur le plat, la direction « engage » un peu. C’est à dire que, quand on tourne le guidon, on a l’impression qu’il veut aller automatiquement en butée et qu’il semble difficile de le faire revenir à sa position initiale, un peu comme sur un vélo de DH. Pourtant, au bout de quelques minutes, on s’y habitue et le vélo est étonnamment facile à prendre en mains, même pour un non initié. C’est une des volontés de YT de proposer des vélos qui ont cette caractéristique, et c’est réussi ! On a bien essayé d’emmener le Capra dans de longues randonnées techniques, mais on sent que ce n’est pas là qu’il est le plus à l’aise. Il grimpe bien dans les côtes techniques grâce à un excellent grip de la roue arrière, mais il est presque impossible d’accélérer le rythme. Idem sur le plat ou dans les montées régulières: on plafonne quasi immédiatement et à vitesse plutôt réduite. Si un de vos potes de sortie roule sur un vélo de cross léger, il va vous détester et vous allez le faire attendre en permanence. Par contre, dès que la pente s’inverse, il ne faudra pas dix mètres pour que vous reveniez lui sentir la roue arrière et à la première occasion, vous pourrez partir sur le bas-côté pour le dépasser même dans les portions les plus improbables. Du gros, toujours du gros ! Bref, on remise définitivement le petit casque et on remet l’intégral pour attaquer sur les spéciales d’enduro les plus tendues et les DH les plus pentues qu’on connaisse. Et là, c’est le bonheur intégral. Ce qui saute aux yeux directement, c’est la rigidité du bike. Cadre, fourche, poste de pilotage (en 35mm, nous en reparlerons dans un prochain article): rien ne se tord, ni au pédalage dans les relances, ni dans les appuis latéraux, les dévers ou les virages serrés. Cela a pour conséquence une réaction franche et directe à chaque changement de direction, ainsi que l’impression de faire corps avec la machine. Du plaisir à l’état pur, d’autant que les suspensions -parfaitement accordées- sont tout sauf molles, même si elles absorbent tout. Elles adorent qu’on les fasse « pomper » sur les reliefs, pour profiter de chaque impulsion pour décoller et survoler les obstacles comme les meilleurs pilotes dont nous avons tous des images en tête dans ces vidéos qui nous font rêver. Une fois qu’on a de la vitesse, les relances énergiques ne lui font plus peur et le côté pataud aperçu en côte disparaît comme par enchantement. Bref, le vélo semble vivant et on adore cela ! Le hic, c’est que cette énorme rigidité et le potentiel des suspensions est un peu freiné par un élément de première importance sur le vélo: son train roulant. Nous en avons parlé plus haut, mais plus le test du Capra avançait, plus les roues et les pneus nous ont semblé devoir être changés. Les E13 sont rigides, mais jusqu’à un certain point seulement. Et si elles sembleraient sans doute parfaites au guidon d’un vélo all-mountain, on atteint vite leurs limites avec le Capra. Quant aux pneus, la combinaison de flancs raides, de crampons souples et d’une gomme inadaptée dès qu’il y a quelques molécules d’eau sur le sentier, donnent un cocktail peu avenant. Sur sol rocailleux et glissant, on a l’impression de se faire balader par le vélo et la trajectoire prévue est rarement celle qu’on parvient à emprunter. Clairement, ces composants sont à changer au plus vite pour pouvoir profiter du potentiel presque sans limite du Capra, dont les capacités dans la pente lui permettraient sans aucun doute de rivaliser avec un bike de DH d’il y a quelques saisons seulement. Quand on pense qu’il ne fait que 13kg, on se dit que c’est beau le progrès ! Malgré son poids plume, on se voit pourtant plus au départ d’une Mégavalanche, d’une Mountain of Hell ou d’un enduro avec remontées mécaniques, que sur la ligne d’un EWS physique type Finale Ligure, ou d’un enduro à la mode nordiste (Belgique, Vosges,…) où les liaisons se font sur le bike et où le physique occupe une place prépondérante. YT dit vouloir faire des vélos à même de permettre aux « jeunes talents » de progresser, grâce à des machines à la fois accessibles financièrement et au niveau du pilotage. Ce test a montré que cet objectif est pleinement atteint. Aujourd’hui, la marque dit aussi avoir l’ambition que ses montures permettent aux meilleurs compétiteurs de jouer les podiums. Ici aussi, le Capra tape dans le mille et ne semble avoir aucune autre limite que celles du pilote, du moins dans le cadre du programme pour lequel il a été conçu: le gros enduro. C’est quand on en sort qu’on commence à voir quelques barrières. Mais la personnalité de ce vélo atypique est tellement attachante qu’on en vient plutôt à s’adapter à lui en orientant ses sorties vers des pratiques plus engagées, qu’à essayer de le faire rentrer dans le rang. Et c’est tant mieux ! Quant au tarif particulièrement doux, il permet de garder un peu de marge pour faire évoluer les quelques équipements que nous avons trouvé moins adaptés au potentiel de l’engin. Tiens, YT, quand est-ce que vous nous faites le même en version « trail » de 140mm ? Plus d’informations, équipements et géométries: www.yt-industries.com/Capra-CF-Comp-1