Test Troy Carbon : veni, vidi, Devinci
Par Olivier Béart -
Nouvellement distribuée dans le Benelux et en France, la marque canadienne Devinci est pourtant déjà bien connue sur la scène mondiale grâce à Steve Smith en DH, ou encore Damien Oton en Enduro. Dans la famille, le Troy est leur machine à tout faire, avec 140mm de débattement et des roues de 27,5 ». Est-il adapté à nos terrains européens ? Vojo a testé !
Car Devinci n’est pas juste un concepteur/assembleur comme un grand nombre de grandes marques actuelles. L’entreprise produit toujours une partie de ses cadres sur place : » Les matériaux bruts dont le carbone et l’aluminium entrent à un bout de l’usine et en ressortent de l’autre, transformés en vélos complets « , se vante la marque. En fait, les cadres carbone proviennent, comme c’est souvent le cas, d’Asie (car c’est aujourd’hui là que sont les plus hautes technologies, au-delà du coût), mais les cadres en aluminium et toutes les pièces dans ce métal sont toujours intégralement réalisés au Canada. Nous ne manquerons d’ailleurs pas d’aller voir cela et admirer le savoir-faire maison lors de notre voyage au Canada fin février pour la Traversée du Lac St-Jean, puisque la visite de l’usine Devinci est inscrite à notre programme ! La gamme Devinci est riche de pas moins de 24 modèles, qui vont du vélo d’enfant au DH en passant par le XC et la route. Toutes les versions ne sont pas distribuées chez nous par l’importateur Sabma, mais les plus attrayantes le sont, comme le Wilson de DH au guidon duquel Steve Smith a remporté la Coupe du Monde 2013, le Spartan apparu cette année et emmené à la victoire en Enduro World Series par Damien Oton dès ses premiers tours de roue à La Thuile, ou encore le Troy que nous testons ici. Si Damien Oton a utilisé le Troy à quelques occasions en début de saison, il se veut clairement plus polyvalent que le Spartan, intégralement conçu pour le gros enduro dans un esprit racing. Les 165mm de ce dernier le montrent, comme son poids qui est annoncé à 3250g avec amortisseur contre 2850g pour le Troy et ses 140mm de débattement. On n’a pas la légèreté d’un XC, mais avec un choix de composants soigné, on peut sans souci arriver à un poids plume pour le segment, comme nous le verrons un peu plus loin. Le Troy carbone adopte une finition un peu décalée par rapport au reste de la production actuelle, avec des fibres tressées très fines et apparentes, alors que la mode est plutôt au carbone UD et à la peinture. Les avis sont partagés sur le plan esthétique mais il faut reconnaître que la mise en oeuvre force le respect, d’autant qu’avec ce type de tressage, le moindre faux pas saute immédiatement aux yeux. Devinci nomme son procédé d’assemblage de fines couches de carbone le DMC-G, pour Devinci Monocoque Carbon – Gravity, par contraste avec les modèles routes, puisque l’accent est ici plus mis sur la résistance aux impacts. Les bases restent en aluminium 6066-T6, comme la biellette supérieure, entièrement usinée et asymétrique. Signalons que toutes les portées de roulements sont usinées après soudure et traitement thermique, afin de garantir un alignement parfait et d’éviter toute usure prématurée des axes, par ailleurs très généreusement dimensionnés. Notons aussi le passage interne des gaines et de la Durit de frein arrière, ainsi que pour la tige de selle télescopique Reverb Stealth. Celui-ci est d’ailleurs très bien pensé avec un tube interne qui facilite les opérations de maintenance et qui permet de garder des gaines continues pour les dérailleurs. Dernier détail important : Devinci garantit ses cadres à vie. La suspension mérite aussi quelques explications. Il s’agit du fameux Split-Pivot, mis au point par le gourou de la suspension Dave Weagle. S’il est aujourd’hui utilisé par plusieurs autres marques (BH, Salsa, Morewood,…), l’histoire retiendra que c’est Devinci qui a inauguré ce concept de point de pivot concentrique à l’axe de la roue arrière. L’avantage est qu’il permet de placer le point de pivot principal assez haut par rapport au boîtier de pédalier (voire même très haut sur le Troy) tout en gardant un bon comportement au freinage. En effet, un monopivot classique avec un point de pivot haut à tendance à détendre l’amortisseur au freinage. Au plus ce point de pivot est haut, au plus l’effet est prononcé: c’est ce qu’on appelle « anti-rise », ou « squat de frein ». Bref, rien de bon, car en plus de la plongée de la fourche on ajoute une “montée” de l’arrière du vélo, ce qui déséquilibre le pilote vers l’avant, sans parler de la sensation de « dribble » de la roue arrière. Cette ossature est déclinée en deux versions: aluminium et carbone. Proposé à 2299€, le carbone semble presque « bon marché » à côté de l’alu à 1839€. Compte tenu de la production canadienne et par rapport à d’autres marques prestigieuses comme Santa Cruz ou Yeti, on est clairement dans des fourchettes de prix beaucoup plus raisonnables. Dans nos contrées, pas moins de 8 montages sont proposés, de 3038€ pour l’entrée de gamme alu (Pike, Deore), jusqu’à 6618€ pour le top-modèle en carbone (Pike, XO1, DT X1700). Pour ce test de 5 semaines, nous avons par contre eu droit au vélo officiel du team belge BBC Enduro, monté aux petits oignons et qui passe aussi largement les 6000€ avec un groupe Sram XX1, un poste de pilotage Renthal, l’inévitable Reverb, des pneus Michelin Grip’r en version gomme ultra tendre et des composants distribués par Sabma comme les roues NoTubes Arch EX ou encore les suspensions Fox Factory Kashima, alors que les vélos montés sont équipés en RockShox. Ce test a également été l’occasion pour nous d’avoir un premier contact avec la dernière Fox 36 sur nos terrains habituels, en version ramenée à 150mm afin de ne pas perturber la géométrie. Nous vous en reparlerons très bientôt mais d’ici là, place au Troy ! Avec une telle configuration haut de gamme qui montre jusqu’où on peut aller quand on peut sélectionner chaque composant, notre Troy se montre particulièrement léger: 12,74kg sur notre balance, malgré des pneus à plus d’un kilo pièce ! Pour un 140mm prêt à courir ou, tout simplement, à vous suivre dans tous vos délires vélocipédiques, c’est plutôt un très joli score et on voit quelques pistes pour l’emmener vers les 11kg avec un montage un peu moins musclé. Sur le terrain, cette légèreté se sent très clairement, mais elle est annihilée par le côté tracteur des pneus. Comme nous avons décidé d’emmener le Troy sur des terrains variés, nous avons vite changé l’arrière pour un modèle plus léger et roulant (un Schwabe Nobby Nic). Par contre, l’avant est resté bien en place car le grip incroyable procuré par sa gomme est du genre addictif. Une fois ce petit changement effectué, on peut enfiler les kilomètres comme des perles sans les voir défiler et des sorties de 4, voire 5h deviennent de simples formalités. Mais, même s’il est présenté comme un vélo de « Trail », voire même de « XC agressif » de l’autre côté de l’Atlantique, on sent que le terrain de prédilection de notre Troy est clairement en descente.Immédiatement, c’est la qualité des suspensions qui a sauté aux yeux de tous nos testeurs. On a même cru que l’amortisseur et la fourche avaient été soigneusement préparés par les techniciens de l’atelier Sabma, distributeur Fox dans le Benelux, mais on nous a juré que tout était juste sorti du carton. Quoi qu’il en soit, on frôle presque la magie. On sent bien qu’on n’a pas plus de 140mm de débattement, mais on est à un niveau d’efficacité qui permet sans souci d’envisager un usage musclé. En cela, le Troy est très comparable au Yeti SB5c testé il y a quelques mois par nos soins, tout en ayant recours à une solution de suspension plus classique. On s’envoie en l’air sur des jumps conséquents sans la moindre arrière-pensée puisque ni l’amortisseur, ni la fourche ne talonnent à la réception. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un vélo pour aller en bike-park. Mais pour de l’enduro nordiste et de moyenne-montagne, on n’est pas loin de l’arme idéale. L’efficacité de la suspension au freinage, promise sur le papier, est clairement au rendez-vous et les roues restent collées au sol en permanence. La Fox 36 fait aussi des merveilles, sans demander beaucoup de pression (autour de 65psi pour un pilote de 75kg, soit un bon 25% de SAG comme pour l’amortisseur), car l’hydraulique veille et donne une impression d’onctuosité jusque très loin dans le débattement, sans laisser la fourche plonger au freinage ou talonner en fin de course. La Pike de Rock Shox a clairement trouvé une adversaire de taille ! Le comportement des suspensions est bien prolongé par le cadre lui-même, qui sait se montrer rigide dans les appuis et dont la partie avant supporte sans broncher le montage d’une proue aussi costaud que la 36. Idem pour l’arrière, qui ne flotte jamais et qui permet de passer « full speed » dans les portions les plus défoncées sans risque de perdre sa ligne. On peut aussi adapter la géométrie grâce à deux bagues situées au niveau de la jonction haubans-biellette. Grâce à elles, la hauteur du boîtier peut varier de 7mm et les angles d’un demi degré. Cela permet de typer un peu le comportement du vélo mais, après essai, la différence ne nous a pas semblé flagrante et nous avons opté pour le mode plus axé descente, qui donne un angle de direction de 67° et un tube de selle à 72,4°. Cela n’impose pas de faire de concessions notables au pédalage mais le comportement nous a semblé un poil plus efficace dans ce mode. La maniabilité est excellente et le Troy a un caractère très fun, encore renforcé par son poids plume qui permet de jouer beaucoup plus qu’au guidon d’un vrai vélo d’enduro comme le YT Capra qui serait à comparer plus directement au Spartan chez Devinci. Il est aussi beaucoup plus accessible pour des pilotes plus habitués à des vélos de XC/Marathon et qui souhaiteraient s’aventurer vers des pratiques plus engagées. Petite mise en garde: le vélo nous a semblé assez court en taille M et nous avons changé assez rapidement la potence de 50mm par une 70mm. Et, à choisir, certains de nos testeurs qui font pourtant moins de 180cm seraient bien passés sur un L avec une potence plus courte. Mais nous sommes sûrs que son côté joueur n’en serait pas altéré tant il s’agit d’un trait de caractère qui semble gravé dans l’ADN du Troy. En montée, même ramassée, la position reste très agréable et le vélo est à l’aise dans les portions raides, avec un excellent grip de la roue arrière. Il faut juste bien prendre soin d’activer le mode plateforme de l’amortisseur pour contrôler le pompage, qui peut être important. Mais avec le Fox CTD, le mode Trail suffit à éviter les mouvements parasites. En freinant la compression, ce mode permet aussi de limiter le kickback, qui peut se faire sentir dans les passages de marches ou de racines lors des ascensions, et ce malgré le mono-plateau de 32 dents qui est censé limiter le phénomène. Attention donc à ne pas monter un trop petit plateau sur le Troy. Quel bonheur que ces vélos soient enfin distribués chez nous de façon régulière ! Les Santa Cruz Solo/Bronson et autre Yeti SB5c trouvent ici un nouveau concurrent de taille, tant sur le plan de l’image et du prestige que du comportement sur le terrain. Comme eux, le Devinci est aussi une machine qui a une âme, une personnalité. Ce n’est pas juste un vélo hyper efficace, proposé à un prix presque raisonnable et doté de suspensions dont l’élite de la DH mondiale aurait sans doute à peine osé rêver il y a quelques années (alors qu’on est ici sur un vélo typé All-Mountain!). C’est aussi et surtout un véritable compagnon, fidèle et capable de vous suivre partout, depuis la tranquille randonnée du dimanche où vous apprécierez son confort et sa position équilibrée, jusqu’à des épreuves d’enduro pour taquiner le chrono, en passant par des raids en montagne de plusieurs jours. Le Victorinox du VTT n’est pas Suisse: il est Canadien ! Plus d’infos et géométries: http://www.devinci.com/bikes/troy ou www.sabma.com Consultant suspensions: Maxime Ganhy