Flashback | Specialized Stumpjumper Série 1, 1982 : celui par qui tout a commencé

Par Olivier Béart -

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Flashback | Specialized Stumpjumper Série 1, 1982 : celui par qui tout a commencé

En plus d’être le premier VTT Specialized, le Stumpjumper de première génération, sorti en 1982, est aussi considéré comme le tout premier VTT de série. A l’occasion des 50 ans de Specialized, Vojo vous emmène à la découverte de ce vélo mythique qui a changé l’histoire de notre sport. Avec en plus, cerise sur le gâteau, un petit essai de la bête !

L’histoire de Specialized a commencé en 1974, il y a 50 ans. Non pas par la production de vélos, mais par l’importation de pièces européennes vers les Etats-Unis, comme Mike Sinyard, le fondateur, nous l’a raconté en vidéo lors de notre visite au siège de la marque à Morgan Hill un peu plus tôt cette année :

A partir de 1976, Specialized s’est mis à produire ses propres composants (des pneus pour commencer), puis c’est à partir de 1981 que la marque a sorti ses premiers vélos, le Sequoia, un vélo de « touring » et le Allez, un vélo de route. Pour le VTT, c’est en fin d’année 1981, pour le millésime 1982, que tout a commencé.

Mike Sinyard nous raconte la genèse du projet Stumpjumper : « A l’époque, comme vélo de série, il n’y avait que du bas de gamme typé « touring » ou « cruiser », pas assez solide ni adapté pour le tout-terrain. Ou alors, des vélos sur mesure réalisés par des artisans talentueux mais chers et réservés à un petit nombre de clients. Avec le Stumpjumper, nous avons voulu proposer un vrai vélo tout-terrain de qualité, avec de bons tubes, une bonne géométrie et des équipements cohérents, le tout à un tarif plus accessible. »

Pari réussi pour le tout premier Specialized Stumpjumper ! Proposé à 750$, soit quasiment la moitié du prix d’un Ritchey, Potts ou Breezer de l’époque, il s’arrache comme des petits pains. La toute première série de vélos produite à la fin de l’année 1981 (en octobre) et arrivée aux USA un peu plus tard, est vendue en quelques semaines à peine, suite notamment à la participation de Mike Sinyard à une foire commerciale.

Ce succès du Stumpjumper va de pair avec le véritable boom que le VTT s’apprête à vivre au début des années 80. Les chiffres sont parlants : de la pratique de quelques illuminés en Californie à la fin des années 70, les ventes explosent littéralement, passant d’une dizaine de vélos en 1978 à quelques centaines en 1980, puis environ 5000 en 1982 (dont 500 Stumpjumper) à 50 000 en 1983… avant que les le phénomène devienne mondial et que les ventes se comptent très vite en centaines de milliers de machines, puis en millions.

Le vélo qui illustre cet article porte le numéro de série T2C00481, c’est-à-dire qu’il fait partie de cette fameuse première série de cadres à soudures TIG (les suivants, produits à partir de 1983 sont assemblés avec des raccords soudo-brasés et sont nettement moins rares), mais de la deuxième partie de la production, lancée à partir de mars 1982.

Pour les plus pointus d’entre vous, la lettre « T » dans le numéro de série fait référence à l’usine qui a produit le cadre et le chiffre « 2 » à l’année de production, 1982 (les tous premiers modèles « 1.1 » commencent par T1 pour 1981, et les versions à raccords produites à partir de l’été 1982 ont un numéro de série commençant par M, signalant qu’ils sortaient d’une autre usine). La lettre « C » fait référence au mois de production ; ici le mois de mars, soit le premier mois de production du Stumpjumper en 1982. Et il s’agit du 481e cadre produit en mars. Au final, on peut donc conclure que ce modèle est plus ou moins dans les 1000 premiers VTT Specialized produits. Quand on connaît l’importance de la marque aujourd’hui et les millions de VTT qu’elle a vendu, on mesure l’importance historique de ce vélo !

Cette pièce précieuse et rare qui fait partie de la collection Vojo depuis maintenant deux ans. Combien ont survécu ? Difficile de le dire, mais cet exemplaire est dans un état de conservation remarquable et il s’agit aussi d’un des rares exemplaires sur le sol européen.

Entre la série « 1.1 » et « 1.2 » dont le vélo qui illustre cet article est un des premiers exemplaires, les cadres et équipements sont identiques, à l’exception de la tête de fourche qui a un peu évolué, et c’est surtout le changement de design du logo Specialized qu’on remarque entre les deux, puisqu’il devient le logo que nous connaissons toujours aujourd’hui. A noter aussi que deux couleurs ont été proposées à partir de la production de 1982 : bleu et gris/beige.

Sur la base gauche du vélo, on aperçoit un nom : celui de Tim Neenan. Artisan cadreur basé près de Santa Cruz, c’est lui qui a dessiné, conçu et fabriqué les premiers prototypes de ce qui est devenu le Stumpjumper. Il avait déjà travaillé avec Mike Sinyard sur le premier vélo de route Specialized sorti un an plus tôt, et c’est lui qui a l’a convaincu de tenter le même coup dans le VTT.

C’est aussi lui qui s’est occupé de la mise en production du vélo au Japon, ce qui n’était pas une mince affaire car, malgré l’expérience des soudeurs asiatiques dans la production de BMX et de vélos de route, tout restait à inventer pour le VTT. Impossible, donc, de parler du Stumpjumper sans le citer !

En plus du cadre, la transmission provient aussi du Japon avec un dérailleur arrière, une cassette et des shifters Suntour 3×5 vitesses. Là aussi, Neenan a dû résoudre pas mal de petits soucis pour arriver à faire fonctionner parfaitement le premier VTT de série. Car, rappelez-vous, à l’époque, il n’existait pas vraiment de composants spécifiques et les montages des vélos sur mesure produits à l’unité faisaient souvent appel à des pièces modifiées artisanalement.

Lors de son introduction au MTB Hall of Fame, Neenan a expliqué : « Je me souviens que nous avions un souci d’interférence entre le levier de changement de vitesses Suntour et le levier de frein Tomaselli. Cela s’est résolu au Japon, avec un petit dessin d’un nouveau collier de serrage du shifter, dessiné à même le bureau du Président de Suntour, qui a, dans la foulée lancé la production. »

Pour le reste, on remarque aussi la présence de plusieurs composants européens, comme les fameux leviers de freins Tomaselli issus du monde de la moto, et aussi français. C’est le cas notamment du pédalier Specialites TA – marque importée aux USA par Specialized (et qui a d’ailleurs influencé le choix de ce nom par Mike Sinyard) -, la tige de selle Laprade ou encore des freins Mafac venus du cyclocross.

En l’absence de matériel spécifique, le BMX marque aussi certains composants du Stumpjumper de son empreinte, comme par exemple pour la potence « club de golf », les pédales ou encore les moyeux Suzue 36 trous.

Ils sont ici lacés par Wheelsmith avec des rayons DT Swiss sur des jantes japonaises Araya en 26 pouces, dont la largeur importante rappelle ce qu’on retrouve sur les VTT contemporains, après une période d’égarement à trop regarder le poids et à utiliser des jantes et des pneus bien trop étroits.

Même les pneus sont signés « Stumpjumper ». Leur design reste basique, avec des crampons carrés de type motocross, mais leur section importante de 2,125″ permettait d’offrir un beau ballon, synonyme de confort et d’une accroche plus que correcte. Aujourd’hui, ce pneu produit en petite série et rapidement effacé de la gamme par le Ground Control (premier pneu au design spécifique VTT) compte parmi les pièces les plus rares, les plus chères et les plus difficiles à trouver pour ce vélo.

Vu le succès du premier Stumpjumper, Specialized a immédiatement prévu une deuxième série en 1983, produite cette fois à plusieurs milliers d’exemplaires. On le reconnaît à ses tubes à raccords soudo-brasés et à quelques détails d’équipements (le poste de pilotage notamment). 1984 il passe à des tubes Tange Prestige, 1991 il se dote d’une fourche télescopique, 1993 place à l’alu M2, 1995 il se décline en tout-suspendu, et l’histoire continue de s’écrire en 2024 avec la sortie de la… 15e génération (voir notre test complet : Test nouveauté | Specialized Stumpjumper 15 : muscler son jeu). Notre petit doigt nous dit que ce n’est pas près de s’arrêter !

42 ans après, comment ça roule un Stumpjumper 1 ?

Malgré la rareté de l’engin et son grand âge, nous n’avons pas résisté au plaisir de faire quelques tours de roues au guidon de ce Specialized Stumpjumper de 1982 ! Malgré ses 15kg bien tassés, les accélérations sont franches et il s’en sort plutôt pas mal en côte, l’ancêtre.

Assis sur la selle, il invite plutôt à rouler tranquillement, mais quand on se met debout sur les pédales, ça envoie. Merci les petites roues de 26 pouces !

Malgré le cintre plat qui équipe notre modèle d’essai (la seule pièce qui n’est pas d’origine sur notre vélo, en plus du pneu arrière) et qui est nettement plus bas que celui d’origine, la position est confortable. Le cadre en acier filtre plutôt bien les petits impacts, et les gros pneus donnent aussi pas mal de confort.

En descente, sur les grands chemins larges, l’empattement met en confiance, tout comme l’angle de direction de 65° et on se prend vite au jeu de la vitesse… mais gare aux freins qui n’ont aucun mordant et qui s’apparentent plus à des ralentisseurs même quand on prend les énormes poignées Tomaselli à pleines mains !

Dans les virages serrés, c’est très difficile de le faire tourner et le cadre assez haut rend le passage derrière la selle compliqué. On ne vous parle même pas de notre tentative de passer un petit pierrier sur un tracé de XC contemporain… on a vu notre vie défiler devant nos yeux, et on a décidé mettre sagement un terme à cette essai, de peur d’abîmer le vélo, et le pilote !

Avoir la chance de remonter sur un VTT aussi ancien reste néanmoins une expérience unique et qui mérite d’être vécue. Ne fût-ce que pour encore mieux apprécier tous les progrès et les évolutions réalisés depuis, pour notre plus grand plaisir. Et pour apprécier, sans nostalgie mais avec respect et curiosité, les sensations à part dispensées par un des premiers VTT du marché.

Plus d’infos et références :

ParOlivier Béart